Isabelle Huppert et le théâtre


1973 : La Véritable histoire de Jack l'éventreur, de Caroline Huppert


1973 : Le drakkar (TV Théâtre) de Jacques Pierre avec Anouk Ferjac, Sady Rebbot, Jean Franval, Jacques Charby, Dominique Rozan, Françoise Giret


L'avare (Molière)

 

Tournée aux Etats-Unis en 1974


1975 : Pour qui sonne le glas, de Caroline Robert Hossein, d'après Ernest Hemingway


1975 : Voyage autour de ma marmite, de Caroline Huppert, d'après Eugène Labiche


 Viendra-t-il un autre été ? (J.J. Varanjean)

 

Mise en scène : Jacques Spiesser

 

Au Petit Odéon (avec Jacques Villeret et une chansons de Véronique Sanson : Tu m'as dit que j'étais faite pour une drôle de vie"


 "ON NE BADINE PAS AVEC L'AMOUR" (Musset) 1977

 

Mise en scène : Caroline Huppert, Roger Kahane d'après Alfred de Musset avec Sabine Haudepin, Francis Huster, Jean Benguigui, Evelyne Bouix, André Julien, Béatrice Agenin, Catherine Samie, Bernard Dhéran, Michel Etcheverry

 

Théâtre des Bouffes du Nord "


 UN MOIS A LA CAMPAGNE" (Tourgueniev) 1989

 

Mise en scène : Bernard Murat

 

Théâtre Edouard VII


 "MESURE POUR MESURE" (Shakespeare) 1991

 

Mise en scène : Peter Zadek

 

Odéon / Théâtre de l'Europe


 "JEANNE AU BUCHER" (Claudel) 1992

 

Mise en scène : Claude Regy

 

Opéra Bastille


 "ORLANDO" (V.Woolf) 1993

 

Mise en scène : Bob Wilson

 

Théâtre de Vidy-Lausanne

 

Odéon / Théâtre de l'Europe


"MARY STUART" (Schiller) 1996

 

Mise en scène : Howard David

 

Royal National Theater de Londres

 

Théâtre des Bouffes du Nord


 "MEDEE" (Euripide)

 Isabelle Huppert dans sa loge en train de répéter une scène de Médée

Mise en scène : Jacques Lassalle

 Festival d'Avignon

 Théâtre de l'Odéon +tournée

Nouvel Observateur   N° 1860   (29/6/2000)

 Critique :

 Elle entre, sans trac, dans la Cour d'Honneur

 huppert gagne

 Celle qui fut au théâtre Jeanne au bûcher de Claudel, Orlando de Virginia Woolf et Mary Stuart de Schiller fait ses débuts à Avignon dans le rôle mythique de l'infanticide Médée. Elle dit à Jérôme Garcin pourquoi ce rôle l'a attirée

 

 Jamais Isabelle huppert n'a été si conquérante. On peine à reconnaître, sous les traits de la terrible Médée, la jeune fille rangée de Ville-d'Avray, l'adolescente en K-Way de « César et Rosalie », la phtisique « Dame aux camélias » ou encore « la Dentellière » transparente des seventies. Les lèvres étaient boudeuses, elles sont devenues gourmandes. Son corps de page était incertain, il a la grâce musclée d'une actrice de kabuki. On l'a connue arrangeante, la voici dérangeante. La léonine succède à la cristalline. Isabelle huppert, ou l'histoire d'une incroyable métamorphose. Celle qui excellait autrefois dans les rôles de shampouineuse trompée, de maîtresse lymphatique, de convalescente alanguie et de victime chlorotique règne avec autorité, et au premier rang, sur un cinéma et un théâtre dont elle a longtemps été la poignante victime. Désormais, elle tient la carabine chez Chabrol, dévore un jeune boxeur dans « l'Ecole de la chair », impose sa loi aux demoiselles de « Saint-Cyr » et multiplie, pour notre bonheur, les personnages tutélaires. Vingt-cinq ans après avoir été violée par Jean Carmet au camping de « Dupont Lajoie », elle entre dans la Cour d'Honneur pour égorger ses enfants. Il fallait bien des épaules de reine pour porter, en l'an 2000 et en plein air, la tragédie d'Euripide.

Le Nouvel Observateur. - Après les films de Benoît Jacquot, de Patricia Mazuy, d'Olivier Assayas, on a l'impression de ne plus vous quitter. N'en faites-vous pas trop ?

I. huppert - Non, je fais moins de films qu'on ne croit. Je ne suis pas une Arturo Brachetti au féminin, une femme aux mille visages. Exceptée l'année où j'ai enchaîné Cimino, Godard et Pialat, je prends le temps de faire des choix. Deux films à Cannes et « Médée » au Festival d'Avignon peuvent en effet donner l'impression d'une surexposition, mais l'important n'est pas ce que l'on montre, c'est ce que l'on cache.

N. O. - N'empêche : vous êtes d'une énergie redoutable !

I. huppert - Vous savez, dans ma vie, j'ai connu beaucoup de moments où je manquais terriblement de force, où je me laissais aller. Je me souviens que, à la fin de mon adolescence, je n'avais pas le goût de vivre, j'étais comme sans désirs, sans passions. J'ai l'impression que, inconsciemment, je me rattrape aujourd'hui. Je rends des comptes. Comme si je prenais, avant qu'il ne soit trop tard, une revanche sur celle que j'ai été et que je n'ai pas oubliée. Cela dit, tourner des films ne me demande aucune énergie particulière. Quel que soit le rôle, je le fais dans un état de légèreté totale. Je me promène d'un film à l'autre. Je me ménage, dans le paysage du cinéma, une sorte de déambulatoire invisible où je me trouve si bien que je ne connais ni l'angoisse, ni le trac, ni l'épuisement.

N. O. - Ce que vous dites de votre vie se retrouve d'ailleurs dans votre filmographie : longtemps, vous avez tenu des rôles où vous subissiez, maintenant vous incarnez des femmes qui gouvernent. Vous étiez humble, vous êtes régalienne. La violence, désormais, c'est vous qui l'exercez...

I. huppert - J'ai appris à être indifférente. Cela me permet d'avoir du plaisir. Mais, que je sois victime ou coupable, tous mes films, je m'en aperçois aujourd'hui, tournent autour de la faute, du châtiment, de la culpabilité... et de l'innocence.

N. O. - Vous m'aviez dit un jour : « Je tourne beaucoup pour m'oublier. » Est-ce toujours vrai ?

I. huppert - Oui. Tout appétit excessif, tout désir violent a son revers. Et, chez l'acteur, il y a indubitablement ce besoin de se transformer pour ne pas avoir à se retrouver trop souvent. Mais j'arrive à maintenir un équilibre entre moi et moi, entre le rêve et l'insatisfaction.

N. O. - Dans les films récents, « Saint-Cyr » me semble avoir une place à part.

I. huppert - Je tiens Patricia Mazuy pour un metteur en scène d'importance majeure et son film pour un événement. Qu'elle me pardonne, mais j'aime chez elle qu'elle filme comme un homme. Elle a une puissance que, jusqu'alors, je ne connaissais pas aux femmes. Elle traite son sujet avec une âpreté sidérante et un souci de restituer la physique, les corps, la chair de l'époque. Quand elle m'a présenté son film comme un « Full Metal Jacket » en jupons, j'ai tout de suite dit oui. Et elle a conduit son tournage comme un général d'armée ou comme un dresseur d'animaux. Gare à celles et ceux qui désobéissaient !

N. O. - Vous me disiez tout à l'heure que vous vous « promeniez » d'un film à l'autre, et je vous crois volontiers. Mais en choisissant de monter sur scène, de passer du cinéma au théâtre, est-ce que l'insoucieuse promenade ne tourne pas soudain au parcours du combattant ?

I. huppert - La vie n'est pas qu'un parcours balisé, c'est aussi une terre en friche. Le théâtre est plus aventureux, plus éprouvant et plus dangereux que le cinéma. Et j'ai besoin régulièrement de cette aventure-là, de cette excitation-là. Les critères sont d'ailleurs les mêmes qu'au cinéma : je ne fais jamais mes choix en fonction d'un rôle mais du metteur en scène. Au théâtre, ce furent Bob Wilson, Claude Régy, Peter Zadek. Cette fois encore, la personnalité de Jacques Lassalle a été déterminante. Et comme cela faisait plusieurs années que Bernard Faivre d'Arcier m'invitait à jouer dans la Cour d'Honneur et que j'avais très envie d'être Médée, j'ai jugé que le moment était venu...

N. O. - Qu'avez-vous éprouvé en lisant la pièce d'Euripide ?

I. huppert - Un choc. Je n'aime pas le poncif éculé de la « modernité » des textes anciens, mais là, c'est flagrant. Ecrite en 431 avant J.-C., « Médée » est, par la forme et par la thématique, une pièce d'aujourd'hui. Un mot de la forme : Médée est à la fois au coeur du drame et à distance au point de pouvoir commenter ce qui lui arrive. Elle n'est jamais noyée dans le pathos, elle a au contraire une conscience aiguë du mal qu'elle subit et de celui qu'elle fait subir. Lorsqu'il écrit cette pièce, Euripide est un auteur d'avant-garde qui ose écrire une tragédie moderne quand beaucoup de ses contemporains en sont encore restés à l'épopée. Et un mot de la thématique : c'est la psychanalyse avant l'heure, c'est la maternité, c'est l'éternelle condition des femmes. Euripide n'a pas attendu les féministes pour écrire qu'il est beaucoup plus dur d'accoucher que de faire la guerre...

N. O. - Vous parlez de Médée comme d'une victime. Elle dépèce pourtant son frère, supprime un roi, offre une tunique empoisonnée à sa rivale, et tue ses deux enfants. C'est la plus grande serial killer de l'Antiquité !

I. huppert - Je ne suis pas d'accord. Pour moi, Médée est très humaine, elle est aussi meurtrie que meurtrière, aussi victime qu'assassine. Elle ne tue pas de gaieté de coeur, ni par inconscience. C'est une exclue. Rejetée affectivement, politiquement, elle est dans une détresse absolue. Si elle tue, c'est parce qu'elle souffre trop et que cela lui est insupportable. Et si elle épargne Jason, dont elle est folle amoureuse au sens propre, c'est pour le punir encore plus. Quant à ses enfants, je me demande si elle ne les égorge pas pour les protéger. Enfin, en les tuant, c'est elle qu'elle tue.

N. O. - Vous me faites penser à ce qu'écrit, à propos de Jean-Claude Romand, Emmanuel Carrère dans « l'Adversaire ». Guidé par le Malin, il aurait tué sa femme, ses parents et ses deux enfants pour leur épargner sa propre déchéance et son propre mensonge.

I. huppert - Le point commun, en effet, c'est que Médée n'était pas destinée, par nature, à devenir criminelle. Personne ne l'est d'ailleurs. Le destin n'est jamais une fatalité.

N. O. - Dans « la Cérémonie », de Chabrol, vous tiriez à la carabine sur des bourgeois assoupis devant la télé, dans « l'Inondation », d'Igor Minaiev, vous déchiquetiez votre rivale à la hache, aujourd'hui, dans « Médée », on ne compte plus vos victimes : jamais, sans vous départir de votre impassibilité légendaire, vous n'avez été si dangereuse...

I. huppert - Et vous n'avez pas vu le prochain film de Chabrol, « Merci pour le chocolat », une chose charmante où je joue une femme qui, une fois encore par manque d'amour, veut supprimer les gens autour d'elle qui l'encombrent. Ce sont ces rôles-là que, désormais, on me propose en priorité et ceux, aussi, que j'ai envie de jouer. Je ne peux nier qu'il y ait une rencontre objective entre mon métier et mes aspirations ! Même dans la violence la plus brutale, qui est toujours le fruit d'une souffrance intime, j'essaie de surprendre. Dans « Saint-Cyr », par exemple, j'ai voulu exprimer le pathétique de Madame de Maintenon, mais je me suis appliquée à ce que jamais elle n'ait de compassion pour elle-même. Si elle émeut parfois, c'est sans se départir de l'effrayante rigidité qu'elle va garder jusqu'à sa mort. Son drame, c'est l'enfermement de son intelligence. Presque à mon insu, « Saint-Cyr » m'a très bien préparée à « Médée », même s'il est impossible d'imaginer que cette dernière ne pleure pas, au moins une fois, sur elle-même et sur l'apocalypse qu'elle a déclenchée... Je persiste et signe : il y a une part d'innocence dans la coupable mythique que représente Médée.

N. O. - La Cour vous fait-elle peur ?

I. huppert - Que ce lieu pèse, qu'il ait la fonction du choeur antique, qu'on y tire à boulets rouges, c'est indéniable. Mais c'est justement la raison pour laquelle je l'affronte avec simplicité. Avignon, c'est une aventure collective...

N. O. - On dit ça...

I. huppert. - Oui, vous avez raison, on dit ça, et puis à l'arrivée, on se retrouve toute seule. Le propre du théâtre, c'est que l'on peut atteindre l'extase en étant passé par de terribles souffrances. J'ai connu ça à la puissance dix avec « Orlando ». Mais, pour « Médée », je me sens très entourée. Il n'est pas écrit dans le cahier des charges du théâtre qu'il faille toujours vivre un cauchemar. Je revendique le droit à une certaine insouciance. Je pense même que cela pourrait me rendre meilleure. Et puis, si j'ai toujours rêvé, depuis le Conservatoire, d'être un jour dans la Cour d'Honneur, je n'ai encore jamais joué à Avignon et je n'y viens comme spectatrice que depuis trois ans. Je ne peux donc pas être paralysée par une charge que je ne sens pas. Je ne compte plus les fois où je suis allée à Cannes, mais Avignon reste un peu pour moi une inconnue. C'est ma chance.

N. O. - J'ai le sentiment que, au cinéma comme au théâtre, les choix que vous faites, les rôles sévères que vous acceptez, les metteurs en scène exigeants avec lesquels vous décidez de travailler, les risques que vous prenez (jouer en anglais sur la scène du Royal National Theatre de Londres, décider de transformer en film le roman de Zamiatine, « l'Inondation »), les goûts que vous affirmez (dialoguer avec Nathalie Sarraute dans les « Cahiers du cinéma », par exemple), que tout cela force l'admiration mais pas l'adulation. En un mot, vous êtes plus célèbre que populaire et plus respectée qu'aimée... En avez-vous conscience ?

I. huppert - Oui. Ce n'est pas en incarnant les personnages que je choisis qu'on devient une actrice populaire. Je n'ai jamais cherché à être gentille, sympathique, complaisante, consensuelle, bonne vivante. Pour autant, il n'y a chez moi aucune stratégie. Je fais, je joue, je suis ce que j'ai envie de faire, de jouer, d'être. La ligne d'actrice à laquelle je suis fidèle est celle de mon désir profond. Rien ne m'interdit, au nom de ce même désir, de dire oui demain à une bonne comédie de Jean-Marie Poiré, un vaudeville dans un théâtre privé, ou un film populaire. Mais y a-t-il beaucoup de Lubitsch et de Leo McCarey aujourd'hui ? J'ai l'intime conviction que, à condition que ce soit sans démagogie, je peux aller aussi loin dans la frivolité que je vais dans la violence.

N. O. - Rien ne vous l'interdit, certes, mais, d'après ce que je sais, rien ne vous y mène...

I. huppert. - Dans l'immédiat, non. Entre la création de « Médée » à Avignon et la reprise à l'Odéon durant l'automne, j'ai en effet accepté de tourner, en Autriche, avec un cinéaste que j'admire beaucoup, Michael Haneke, qui adapte le roman d'Elfriede Jelinek, « la Pianiste ». Ce n'est pas avec ce film que je vais devenir une actrice populaire (rires).

Propos recueillis par Jérôme GARCIN « Médée », d'Euripide. Mise en scène de Jacques Lassalle, avec Isabelle huppert, Anne Benoit, Jean-Quentin Châtelain, Michel Peyrelon, Jean-Philippe Puymartin, Emmanuelle Riva, Pascal Tokatlian et Bernard Verley. Cour d'honneur du Palais des Papes, du 12 au 22 juillet.

 

Jérôme GARCIN

 


4.48 Psychose ( Sarah Kane) 2002

Théâtre des bouffes du Nord

 Mise en scène Claude Régy

  "Je suis en train d'écrire une pièce intitulée 4.48 Psychosis. Elle offre des similitudes avec Crave (Manque), tout en étant différente. La pièce parle d'une dépression psychotique. Et de ce qui arrive à l'esprit d'une personne quand disparaissent complètement les barrières distinguant la réalité des diverses formes de l'imagination. Si bien que vous ne faites plus la différence entre votre vie éveillée et votre vie rêvée.

En outre, vous ne savez plus - ce qui est très intéressant dans la psychose - vous ne savez plus où vous vous arrêtez et où commence le monde. Donc, par exemple, si j'étais psychotique, je ne ferais littéralement pas la différence entre moi-même, cette table et Dan (son interlocuteur). Tout ferait partie d'un continuum. Et diverses frontières commencent à s'effondrer. Formellement, je tente également de faire s'effondrer quelques frontières - pour continuer à faire en sorte que la forme et le contenu ne fassent qu'un.

Ce que j'ai pu commencer avec Crave, je le pousse ici un cran plus loin. Et pour moi se dessine une ligne très claire qui part de Blasted (Anéantis), en passant par Phaedra's Love (L'Amour de Phèdre), pour aboutir à Cleansed (Purifiés), Crave (Manque) et cette dernière pièce (4.48 Psychose). Où cela va-t-il ensuite, je ne sais pas trop."

Sarah Kane

(conversation avec des étudiants, novembre 1998)

 

Sarah Kane s'est suicidée le 20 février 1999. Elle avait 28 ans.


2003 : Jeanne d'Arc, de Jonathan Webb, d'après Paul Claudel et Arthur Honegger, à Lisbonne


Théâtre - Hedda Gabler 2005

 

A l'Odéon-théâtre de l'Europe, ateliers Berthier, Isabelle Huppert joue Hedda Gabler de Henrik Ibsen sous la direction d'Eric Lacascade. La pièce, écrite en 1890, montre une femme qui se révolte, qui refuse le moindre compromis avec la médiocrité du monde. Une descente aux enfers inexorable. Encore un très grand rôle pour Isabelle Huppert, filmée fin décembre 2004 pendant les répétitions, avec son metteur en scène et ses partenaires Elisabetta Pogliani, Pascal Bongard, Christophe Grégoire, Norah Krief et Jean-Marie Winling.

 

Metropolis : Qui est Hedda Gabler ?

Isabelle Huppert: Question que tout le monde s'est posée, que tout le monde va continuer à se poser… peut-être qu'on s'est plus posé la question, au fond, au moment où Ibsen a créé la pièce. Lui-même, je crois, se demandait finalement qui était Hedda Gabler. Du moins, il avait conscience qu'Hedda Gabler serait mieux comprise dans les décennies à venir. Ce en quoi il avait tout à fait raison, parce que quand on la joue maintenant, elle arrive quand même précédée de beaucoup de figures féminines, tant dans la littérature que dans le cinéma notamment, qui viennent un petit peu éclairer Hedda Gabler. C'est vrai que c'est une pièce où l'inconscient est au travail, et donc peut-être on n'avait pas du tout l'habitude de ça dans le théâtre classique, et tout d'un coup, d'une manière contemporaine, avec Flaubert d'ailleurs qui fait la même chose avec Emma Bovary…

Metropolis : Ce personnage, il vous dit quoi ? Quelles questions vous posez-vous ?

Isabelle Huppert: C'est surtout ce qu'il ne me dit pas qui m'intéresse, plutôt que ce qu'il me dit, en l'occurrence… Il y a énormément de blancs, d'opacité, et c'est ça qui est absolument extraordinaire à jouer, et extraordinaire dans l'écriture…

Hedda Gabler a une violence nordique, ce qui est très, très différent dans la représentation, par exemple, de la violence latine, et l'écriture est partie intégrante de ça, c'est pas une écriture lyrique, c'est parfois une écriture poétique, assez rarement, c'est une écriture simplifiée à l'extrême, mais un curieux phénomène d'agencement des phrases les unes avec les autres, et puis de l'enchaînement des situations, ça finit par créer une complexité abyssale.

Metropolis : D'où vous vient cette idée ? C'est quand même assez étrange de monter Hedda Gabler, c'est une pièce compliquée, difficile…

Eric Lacascade: C'était l'envie de travailler avec Isabelle, envie réciproque, et depuis quelque temps on cherchait un texte, on cherchait un axe, on cherchait un thème, ça m'a paru évident quand je l'ai lu…

Metropolis : C'est la Huppert actrice de cinéma ou la Huppert actrice de théâtre qui vous faisait dire : tiens, ça, c'est pour elle ?

Eric Lacascade : Le cinéma… il y a un de ces personnages qu'a fait Isabelle dans les films de Chabrol, je trouve, qui est proche de la, entre guillemets, « pathologie » de Hedda Gabler. Je n'aurais pas monté la pièce avec une autre actrice, ça m'est vraiment venu à l'esprit avec, pour, à travers Isabelle. Il y a quelque chose qui est tout à fait particulier, qui est cette fluidité quand elle est présente, et en même temps ce gouffre, cette absence qu'on n'arrive pas à attraper et qui est fascinant, et qui là rejoint le personnage d'Hedda Gabler. De l'extérieur, c'est quelque chose qui est tenu, qui se tient, qui… mais à l'intérieur, c'est un volcan.

Metropolis : On se demande si vous êtes un metteur en scène qui règle des intensités de voix, des rythmes, des silences, des gestes, ou si vous êtes comme une espèce de fouilleur d'âme qui pousse les gens à aller chercher au fond d'eux-mêmes des émotions en arrivant à les transmettre à tous ceux qui vont regarder…

Eric Lacascade : Je crois que ce n'est pas antinomique, l'un va avec l'autre, parce que si on réfléchit sur un silence ou une façon de produire une phrase ou une façon de bouger le corps, c'est vraiment quelque chose qui est parti de la fouille de l'âme, comme vous dites, c'est de là que ça prend racine, c'est de là que ça vient. Le théâtre a une fonction qui vient de très, très loin, apparentée au rituel, et que c'est cette fonction que j'essaie d'interroger encore aujourd'hui, même si c'est de plus en plus difficile dans la société dans laquelle on vit.

 


 2005

Hedda Gabler

d'Henrik Ibsen

à l'Odéon-théâtre de l'Europe


2006

 

Quartett

 

de Heiner Müller, mis en scène par Bob Wilson et avec Isabelle Huppert & Ariel Garcia Valdès,

à l'Odéon


LE DIEU DU CARNAGE

Une pièce deYasmina REZA

mise en scène de l'auteur

100 représentations exceptionnelles à partir du 25 janvier 2008

avec

Isabelle HUPPERT

André MARCON

Valérie BONNETON

Eric ELMOSNINO

 

DécorThierry FLAMAND

Lumières Gaëlle de MALGLAIVE

Costumes Nathalie LECOULTRE

Son Pierre-Jean HORVILLE

Assistant à la mise en scène Daniel AGACINSKI

 

 

La pièce est publiée aux Editions Albin Michel


2010 : Un tramway d'après Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, mise en scène Krzysztof Warlikowski, Odéon-Théâtre de l'Europe.