Le Figaro Magazine, samedi, 7 septembre 2002, p. 11-12

 

L'INVITEE DE LA SEMAINE

 

Isabelle Huppert : Festival d'automne

 

Valérie LEJEUNE

Blonde, pulpeuse, maquillée, perchée sur des talons hauts, elle incarne la féminité absolue dans la Vie promise d'Olivier Dahan qui sort cette semaine. Dans 4.48 Psychose de Sarah Kane, le 1er octobre au théâtre des Bouffes du Nord, elle montrera, sous la férule de Claude Régy, toute la désespérance humaine. Isabelle nous offre, cet automne, tous les visages d'Huppert. Bilan.

Le Figaro Magazine - Dans la Vie promise, on vous reconnaît à peine. Vous ne nous aviez pas habitués à une telle sophistication. Est-ce l'image de la nouvelle Huppert ?

Isabelle Huppert - Disons que c'est une de plus, et certainement pas pour longtemps, certainement pas la dernière. Mais n'exagérons rien. La féminité ne m'était pas totalement étrangère même si elle était souvent plus fabriquée, plus composée dans certains autres films.

Ici, ce qui est différent, c'est que le personnage de la Vie promise, tout déguisé qu'il est, m'est familier. Olivier Dahan a fait surgir quelque chose qu'il avait vu en moi.

Est-ce un tournant dans votre carrière ?

Non. C'est un film de plus. Après mon personnage dans 8 Femmes, de François Ozon, où j'incarnais une vieille fille avec des lunettes et un chignon, c'était un virage à 360 degrés que j'étais contente de prendre. Mais ça reste un hasard rigolo.

Ce qui n'en est pas un, c'est cette réputation de femme intello que vous avez. Cela vous ennuie-t-il ?

Non. Rien ne m'embête de ce point de vue-là. Tout glisse. Au pire, ça m'intrigue. Au mieux, ça m'amuse.

Y a-t-il une relève à la génération des Sautet, Tavernier, Godard, Téchiné, Chabrol que vous avez beaucoup inspirés ?

Pour qu'il y ait une relève, il faudrait que la génération d'avant soit tombée, ce qui n'est pas le cas... En revanche, il y a de jeunes réalisateurs. J'ai eu l'occasion, récemment, de tourner avec deux d'entre eux : François Ozon et Olivier Dahan. Ils ont un sens particulier du cinéma. Avant eux, il y a eu un cinéma cérébral, un cinéma d'auteur ; puis un cinéma de pure image, un cinéma de vidéo-clip. Eux font la synthèse de ces deux mouvements. Certes, les images passent en premier, mais la pensée suit. Cette génération est à l'aise et nourrit bien le cinéma.

A l'heure de l'Europe, existe-t-il une patte française en matière de cinéma ?

Oui, bien sûr, comme il y a une patte allemande...

Laquelle préférez-vous ? La française ?

Ah ! non, pas du tout. D'ailleurs, je ne me sens pas si française que ça. Je ne me sens rien. Werner Schroeter dit que je suis « sans contour et sans limite ». Je suis d'accord. Je ressemble à la personne que j'ai en face de moi. Je ne suis rien, donc je peux être tout. Et je procède par analogie. Le cinéma pour moi est musique et le théâtre est sculpture.

Et sculpter un spectacle ou un film, ça vous tente ?

Il ne faut jamais dire jamais, mais ça ne me démange pas. Si je devais le faire, ce serait plutôt au cinéma, qui me paraît moins mystérieux que le théâtre.

Vous serez bientôt aux Bouffes du Nord dans 4.48 Psychose, avec Gérard Watkins, sous la direction de Claude Régy. Avez-vous toujours autant le trac ?

Non. J'ai tellement eu peur en jouant Médée à Avignon qu'il a bien fallu que ça s'arrange. Et puis, j'adore ce théâtre (les Bouffes du Nord), et surtout cette pièce, enfin, si on peut appeler ça « une pièce », car Sarah Kane échappe à toute définition. Elle invente des formes, des cadences, des sonorités qui la rendent totalement irréductible à une définition classique. C'est la vision d'une femme qui vit ses derniers jours avant de se donner la mort. C'est celle qu'avait Sarah Kane, qui a écrit cinq pièces, avant de disparaître à 28 ans, et qui est sans doute un des plus grands auteurs anglais de cette fin de siècle.

Qui est le plus grand auteur français ?

Je l'ignore, je ne les connais pas tous assez bien. En fait, je ne suis pas une grande spécialiste du théâtre contemporain. Mais les plus grands sont souvent ceux dont les voix se sont tues trop tôt, ceux qui sont le plus en souffrance. Koltès est un de ceux-là.

Est-ce que vous gagnez beaucoup d'argent ?

Quelle question étrange ! J'en gagne suffisamment pour faire partie des privilégiés. Moins que d'autres, mais plus que beaucoup. Je ne vais pas me plaindre.

Un footballeur est mieux payé. Le sport est mieux payé que l'art. Vous trouvez ça normal ?

Vaste question, vaste débat. Ce que je trouve anormal en tout cas, c'est que les hommes gagnent plus que les femmes !

Croyez-vous à l'enfer, au paradis ?

Je crois à certains moments de la vie. Le paradis, ce pourrait être de vivre l'instant présent. L'enfer, ce serait de ne pas faire ce que l'on aime ou bien de faire ce que l'on n'aime pas. Je ne sais pas ce qu'il y a de pire, mais quand on « fait », on oublie, d'une certaine manière.

Le temps qui passe vous inquiète-t-il ?

J'ai lu l'autre jour une phrase qui disait que les bonnes actrices n'avaient pas d'âge. Je vais essayer de devenir une bonne actrice.