Elle est la belle-sœur du mort...

 

Isabelle Huppert

 

« Une coqille d'oeuf qui craque... »

 

(Le Nouvel Observateur février 2002)

 

 « Quand François m'a proposé le rôle d'Augustine, il pensait devoir se montrer très convaincant, sans doute parce qu'il s'agit de ce qu'on appelle communément un rôle de composition. En fait, les comiques méchants étant très amusants à jouer, j'ai dit oui sans hésiter. Augustine était assez bien cadrée dans l'esprit de François : il insistait sur une certaine fragilité, qui ne m'apparaissait pas essentielle, car je préférais le côté très méchant du personnage, à la limite de la caricature. Mais François tenait beaucoup à cette faiblesse qui conduit à la métamorphose finale, celle d'une personne qui porte en elle sa charge de douleur. Je l'ai donc suivi dans cette voie, avec pour références les secrétaires chez Hitchcock ou Howard Hawks, et bien sûr Bette Davis, la référence. Il était très amusant de jouer avec la convention de cette époque, qui consistait à transformer des actrices disons pas trop moches, et à les faire passer pour des laiderons. J'espère que l'on voit que c'est très composé ! Et quand le personnage révèle qu'il a du charme, c'est avec tout autant de conventions, mais qui sont celles de la beauté et du glamour.

 

Nous avons cherché le chignon le plus fou et les lunettes les plus extravagantes. Une autre convention avec laquelle le film s'amuse est celle de l'élégance des années 50, couleurs éclatantes. J'aime assez mon petit chemisier vert pomme avec le col rouge… Augustine n'est pas une vieille fille grisaille, elle est même du genre peinturluré.

 

Je me suis beaucoup amusée, en me disant que le comique repose autant sur l'intime que le tragique : on pratique ce genre de dérision en privé quand on dit des méchancetés sur les gens. Si bien que le comique ne vous éloigne pas tant que cela de vous-même, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Je ne dis pas que dans la vie je suis comme Augustine, mais ceux qui me connaissent bien doivent retrouver dans le film quelques-unes des manières que j'ai de rigoler. En fait, si Augustine savait faire preuve de dérision sur elle-même, elle deviendrait un personnage comme tout le monde. Elle a de l'humour, elle épingle des comportements, elle trouve les mots qui percutent.

 

Dans "Huit Femmes", le comique repose essentiellement sur une parole surabondante et rapide, technique que j'avais déjà expérimentée dans "la Cérémonie" et qui provient pour beaucoup de la comédie américaine des années 30 et 40 : le rythme verbal est essentiel, il faut essayer de rendre la parole le plus rapide possible, sans qu'elle cesse d'être compréhensible. Michel Deville, sur "Eaux profondes", qui n'était pas une comédie, disait toujours : même si cela paraît faux, il faut aller vite. Les chansons constituent des plages de rythme différent : celle d'Augustine annonce déjà sa capacité à souffrir et en fait autre chose qu'une machine parlante.

 

Ce fut un tournage confortable et amusant. Je pense qu'au-delà du suspense, "Huit femmes" est aussi un film sur les actrices et sur ce que l'on pense qu'elles sont. Ce n'est pas seulement une comédie, c'est aussi une coquille d'œuf qui craque pour laisser apparaître un film au vitriol. »

 

 

 

Propos recueillis par Pascal Mérigeau