Point de vue, 11 janvier 2006

 

Le Mystère Huppert

 

Une actrice a part. Secrète et troublante. Une femme aux mille visages. A travers une exposition et un livre de photos, une rétrospective à la Cinémathèque et un film de Chabrol, Isabelle Huppert se dévoile sans se montrer, avec élégance et pudeur. «Le signe des stars, celui peut-être d'une « exception culturelle ». Par

Raphaël Morata

 

L'art du contrepoint. Peut-être du contre-pied. Ou serait-ce une histoire de contrechamp ? De contre-jour , assurément. lsabelle Huppert est une fugue en mode majeur. lnsaisissable malgré sa voix de «clavier bien tempéré». lndiscernable malgré ses incandescentes apparitions théâtrales ou cinématographiques. lsabelle Huppert parle comme Raymond Carver écrivait. A l'économie. Mot après mot. Dans une tension déconcertante. Ses hésitations sont touchantes. Ses silences, troublants. Tout y est dans un déséquilibre rnaîtrisé et exigeant. C' est le charme du mystère Huppert. Au fil de sa conversation en clair-obscur, on cherche désespérément des didascalies ou une improbable et rassurante voix off comme dans les films de Mankiewicz ou de Truffaut. De toute évidence, l'actrice n'est pas faite pour le déversoir impudique de sentiments, ni pour les fausses confidences imposées par le" Raf " - entendez par la les plateaux du triumvirat télévisuel Ruquier-Ardisson-Fogiel. «Je veux de l'esprit, de l'élévation», proclamait-elle en Madame de Maintenon dans Saint-Cyr de Patricia Mazuy. Dont acte. Trois enfants (Lolita, Lorenzo, Angelo), un mari réalisateur (Ronald Chammah). Fermez le banc. On n'en saura pas plus. «lsabelle se déguise pour mieux se livrer, confie sa soeur réalisatrice, Caroline Huppert. Secrète dans la vie, elle ne se confie totalement qu'à ses personnages. C'est toute sa force. " Devrait-on alors pour l ' entr'apercevoir jouer les entomologistes de ses rôles ? Ne dit-elle pas avoir l'impression d'être un papillon quand elle tourne avec Chabrol ? Peut-être. Mais que retenir dans Gabrielle, cette bourgeoise asphyxiée d'être possédée sans amour dans une Belle Epoque revisitée par Chéreau? Dans Hedda Gabler, héroïne d'Ibsen intransigeante et passionnée, inconséquente et désespérée ? Et dans toutes celles qu'elle a incarnées depuis Faustine de Nina Campaneez en 1971. Pomme, La Dentellière, Erika, La Pianiste, Emma, Madame Bovary. . . Huppert aime la photo, pas les clichés. On évitera alors un catalogue raisonné (et plus qu'aléatoire) d'indices biographiques cryptés. Mais après tout, pourquoi ne pas voir chez «Miss Houpperr », comme l'appelait Otto Preminger avec son inimitable accent allemand, une Violette Nozière, attendant sur un banc du parc Monceau que l'on vienne l'arrêter. Que l'on vienne l'appréhender, la réanimer. . . Entre fiction et réaIité. «Les actrices, reconnaît-elle, sont un peu des princesses endormies prêtes à se réveiller par une proposition." Et d'ajouter: «Préparer un rôle, ! c'est comme être enceinte: on ne fait rien, mais quelque chose se fait en vous. On ne travaille pas, on est travaillé. » Pour un numéro spécial des Cahiers du Cinéma, celle qui a eu tant de récompenses (césar, palme et lion d'or) et que l'on surnomme la «dame de fer du cinéma français » , n' a pas hésité pas à prendre des accents saint-exupériens en annonçant «travailler à rêver». Sa part d'enfance, d'innocence. Sans laquelle, selon son ami Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque de Paris, elle ne pourrait avoir « cet entêtement quasi enfantin à se construire un destin d'actrice », Ce qu'elle concède volontiers avec ses mots à elle: «J'ai commencé ce métier à seize ans, je ne me pose pas de questions. Ce n'est pas dur pour moi, je tourne comme j'enfile des perles. » Ni altière. Ni prétentieuse. Simplement sincère. lsabelle Huppert «ne réfléchit pas beaucoup à l'avenir, surtout quand le présent est aussi riche »: Aujourd'hui, une exposition et un livre avec les plus grands photographes, Paolo Roversi, Peter Lindbergh, Robert Frank. Demain, L'lvresse du pouvoir, un film de Chabrol ou elle incarne une juge à la Eva Joly. Après-demain, sa première mise en scène pour l'opéra de Paris avec lphigénie en Tauride de Gluck. Et toujours de beaux lendemains. De beaux rendez-vous pour se poser une fois encore avec Patrice Chéreau, évoquant un acteur antique qui venait avec l'urne mortuaire de son fils sur scène pour trouver l'émotion, cette question: « Quelles cendres ramène lsabelle Huppert tous les jours avec elle ? »

 

POINT DE VUE Comment vit-on le fait de devenir l'objet presque conceptuel d'un livre et d'une exposition ?

 

ISABELlE HUPPERT Les photos existaient déjà. Je les connaissais. Elles avaient leur propre histoire. C'est en les réunissant peu à peu qu'un sens est apparu, un sens thématique : quatre-vingts regards sur la même personne. Ronald Chammah et Jeanne Fouchet en ont eu I'idée.

Contrairement à beaucoup de comédienne, vous n'avez pas peur de la photographie. Est-ce un signe de Iucidité, d'honnêteté intellectuelle, ou de narcissisme d'actrice accepté ?

 

Entre une actrice et le monde, le regard, c'est une longue histoire. Mais être regardée, c'est différent de se montrer. C'est moins une exposition sur moi que sur l'art du portrait photographique. Ces photos ont été faites avec une absolue liberté, pour la plupart. Il ny avait pas d'obligation, ni de contrainte.

 

C'était le temps d'un après-midi de quelques heures ?

 

La photo était au fond assez accessoire dans nos rencontres. On parlait, on se promenait, on discutait. Willy Ronis m'attendait au jardin du Luxembourg. Doisneau m'emmenait dans ses cafés de Montreuil ou du marché Saint-Pierre. Boubat, lui, me recevait dans son apparrement éclairé par une verrière c'était une manière d'être là et pas là. De n'être qu'une figurante de leur univers. J'ai eu le sentiment, surtout en compagnie des « photographes humanistes » comme Cartier-Bresson ou Lartigue, de me retrouver au plus près de moi-même.

 

Cela dit vous avez fait également des photos très sophistiquées, notamment avec Philip-Lorca diCorcia . . .

 

Là, c'est I'inverse. On est plus proche d'un tournage de film, avec un petit scénario, une équipe importante, et trois jours de tournage. C'est un autre jeu, plus contemporain.

 

Avez-vous posé diféremment devant l'objectif d'un homme ou d'une femme ?

 

On ne modifie pas consciemment son comportement selon que I'on se trouve devant Nan Goldin ou Robert Frank. C'est leur regard qui vous modifie.

 

Pour vous, la photo n'est pas un travail ?

 

Non. C'est un moment fugitif, durant lequel on nest pas « engagé». C'est même une manière d'etre «désengagé». On peut même dire que c'est une expérience sur le vide, l'absence de soi. C'est différent du cinéma où il y a quelque chose d'une «gestation » , qui vous remplit peu à peu: 1 'histoire d'un personnage, une fiction, un double de soi-même. Le cinéma, comme le théâtre, c'est un engagement plus profond. Dans une photo, il n'y a pas d'investissement affectif avec une équipe ou un réalisateur, c'est une simple conversation.

 

Abordez-vous la photographie en cherchant à devenir ce « corps neutre », ce " "spectre " dont parte Roland Barthes dans "La Chambre claire" ?

 

Oui. Il y a une jouissance de l'apparition et de la disparition. On n'est jamais la même en une fraction de seconde. Mais je laisse à Roland Barthes le choix de sa définition.

 

La photo vous a-t-elle révélé une part méconnue de votre personnalité ?

 

Ah, non ! Pas du tout. Elle revele plus le photographe que le modèle.

 

Vous ne faites jamais d'auto-portrait ?

 

Jamais. Et puis, il y a Cindy Sherman pour cela.

 

ARNAUD BAUMANN « PEU D'ACTRICES RENVOIENT LA LUMIERE AVEC UNE TELLE INTENSITE»

 

Isabelle Huppert était au Festival de Cannes pour présenter le film Malina de Wemer Schroeter. J'avais fait installer la chambre Polaroid 5Ox60 dans une fête organisée par le producteur Maurice Tinchant. Les invités venaient se faire photographier dans mon studio improvisé pour la nuit. Vers 3 h du matin, Isabelle est arrivée, accompagnée de son realisateur. En un quart heure, nous avons réalisé une série de photos qui auraient nécessité une journée de stylisme et une journée de prise de vue. Isabelle était resplendissante dans sa robe haute couture et dès qu'elle s'est mise à poser dans la lumière, son visage irradiait. Peu d'actrices renvoient la lumière avec une telle intensité. J'ai découvert une femme fragile et forte, aimant la discretion, un glaçon bouillant. Marlène Dietrich devait être de ces femmes. Sur cette image, Werner Schroeter s'est laissé aller une fraction de seconde à lecher délicatement le coude de son actrice. C'était une façon intelligente et subtile de montrer le rapport de séduction qui existe entre un réalisateur et son actrice. C'était un instant d'une grande émotion, qui a marqué mon souvenir de ce Festival 1991.

 

WILLY RONIS « EN FACE D'ELLE. J'ETAIS COMME UN DEBUTANT...»

 

J'ai rencontré ppur la première fois Isabelle Huppert lors de cette séance de photo. Elle m'avait demandé, en 1994, de faire son portrait pour un numéro special des Cahiers du Cinéma. J'étais comme un débutant, ému et impressionné. Car, sans employer le terme de monstre sacré, cette actrice est tout de même entourée d'une aura très particulière. Mais des le premier regard, elle m'a mis en confiance. II y a eu entre nous tout de suite une grande complicité. Je n'ai jamais vu un modèle aussi charmant et disponible. Elle est très facile à photographier. D'autant plus que, fondamentalement, je n'aime pas faire des portraits. Je suis très intimidé. Ce qui n'est pas le cas quand je fais des nus. j'ai toujours I'impression que la personne n'attend qu'une chose c'est que je m'en aille. La séance n'a duré que quelques heures. Le temps tout de même de faire une quarantaine de prises de vue. Nous sommes allés chez elle, puis rue d'Assas et enfin au jardin du Luxembourg. II y avait un côté pris sur le vif, instantané et spontané. Très reportage. Sur la photo où elle porte des lunettes noires et un manteau remonté jusqu'au menton, elle me fait penser à ces stars des années 3O. Plus tard, elle a eu la gentillesse de m'inviter au théâtre de l'Odéon où elle jouait Orlando. Je n'ai pas été déçu. Seule sur scène, elle est vraiment impressionnante. Ce fut une soirée inoubliable.

 

Serge Toubiana évoque, dans la préface du livre, votre «stratégie intime » face à l'objecif . . et peut-être face à la vie. . .

 

Qui n'en a pas. . . C'est le lot du genre humain. A moins d'être dans une situation de survie où, là, on ne joue plus. Dans un contexte privilegié, on peut se permettre cette strategie intime, sans connaitre toutefois toujours les tenants et les aboutissants, le conscient et l'inconscient, de cet engagement. Des sentiments souvent contradictoires s'y mêlent et nous égarent: la passion, le désir de protection, la peur...

 

Il n' ya jamais eu de tension lors des prises de vues ?

 

Si c'est le cas, c'est que l'on a affaire à un mauvais photographe, qui ne vous ne reconnaît pas, qui cherche à vous emmener quelque part, de façon maladroite, déplaisante. Avec un grand photographe, c'est la sensation des possibles qui prévaut, Tout d'un coup, il nous ouvre un accès à nous-même. On ne sait pas toujours lequel. On sent qu'une note juste va résonner.

 

En France, vous n'avez cessé de brouiller votre image, des « Valseuses » à « La Pianiste ». Est-ce la raison pour laquelle des jeunes réalisateurs comme François Ozon viennent sonner à votre porte ?

 

Je n'ai jamais agi dans ce sens, je n'ai fait que jouer la partition. J'aime autant jouer une pièce aussi puissante que 4,48 Psychose de Sarah Kane, que travailler avec des metteurs en scène aussi puissants et exigeants que Claude Régy ou Robert Wilson, ou participer à un premier film comme Les Soeurs fâchées, une comédie populaire. Il n'y a jamais eu de ma part une volonté de brouillef les cartes. J'avance simplement, au gré des rencontres. C'est vrai que j'ai fait peut-être plus de films difficiles et confidentiels que de films populaires et accessibles. Au théâtre, j'aime suivre une ligne plus radicale. J'aurais du mal à faire un autre genre de théâtre, plus classique ou plus routinier. Le théâtre doit rester un champ plus experimental où l'utopie reste possible.

 

Face à un texte aussi déroutant que celui de Sarah Kane " 4, 48 Psychose", on se demande encore comment à la première lecture vous avez pu envisager de jouer ce rôle ?

 

C'est un théâtre comme on n'en lit jamais, comme on n'en joue jamais. Le lire, vous avez raison, est déjà une expérience. C'est un texte étonnant dans sa calligraphie, dans sa pagination. Il n'y a pas d'indication scénique, ni de personnage. Il y a des espaces très larges entre les lignes. Cela se lit plus comme une partition musicaleo. On peut y «entendre» les silences. Le théâtre, c'est aussi ce plaisir d'entendre des silences. J'ai tout de suite su qu'il y avait une porte ouverte vers quelque chose d'inédit, En tout cas, cela ne m'a pas fait peur.

 

Justement, votre amie Susan Sontag avouait sa fascination pour « absence de peu, votre férocité, votre appétit de prise de risques») D'où vient cette faculté ?

 

Je n'ai jamais eu peur de faire quelque chose que je ne connaissais pas a priori. Je n'ai jamais eu peur devant une caméra, au contraire cela me rassure. Je m'y sens bien. Cela me cadre. Je ne suis pas livrée à moi-même.

 

Quand on possède autant de visages différents, de masques, vous arrive-t-il de perdre le sens des réalités ?

 

Cela reste très maîtrisé. Je n'oublie pas qui je suis. Même si je ne sais pas très bien où j'en suis. . . comme tout le monde (rires). J'en saurais sans doute beaucoup moins, si je ne pouvais pas incarner toutes ces personnes, avoir tous ces visages. Certainement. Sinon je ne travaillerais pas avec une telle intensité quasi obsessionnelle. Il y a quelque chose de compulsif à enchainer tournages, pièces de théâtre et séances photos. Mais je ne peux pas faire autrement. C'est nécessaire à ma santé mentale.

 

Le prix Nobel de littérature Elfried Jelinek déclare : «Huppert, on ne peut se la représenter que non maquillée, car il faut qu 'elle puisse devenir n'importe qui ! "

 

Au fond, l'acteur est une représentation exagérée d'une des composantes essentielles de l'être humain: vivre avec et dans son imaginaire. C'est ce qui le différencie de l'animal..L'acteur est, plus qu'un autre, dans cet exercice-là, dans l'experience constante de son imaginaire. Je ne pense pas que cela soit contre nature. Au contraire, je pense être très exactement à un endroit où l'être humain se définit le plus justement. La réalité, ma réalité, la plupart du temps, c'est l'imaginaire.

 

Après avoir joué au théâtre, déclarez-vous, la vie quotidienne paraît plutôt banale. C'était probablement pour cette raison que j'y reviens, pour le sentiment d'exister qu 'il procure. « Fuyez-vous la réalité ?

 

Je m'en nourris et je la fantasme. La vie réelle peut paraître trop riche parfois et difficile à canaliser. Quand je pense a ça, il n'y a que des métaphores aquatiques qui me viennent à l'esprit ! Pour moi, je vois une digue ouverte, l'eau qui s'échappe, et déferle avec beaucoup de violence. Comme un barrage qui rompt.

 

A la fin du tournage du film «Gabrielle», Patrice Chéreau vous a dit que vous resembliez à Garbo. Et cela, il en était presque déçu, ne vous a même pas étonnée !

 

Ah bon? je ne me souviens pas.. .

 

C'est étrange. En tout cas, il aurait pu choisir bien pire . . .

 

Pourquoi ne faites-vous pas référence à des actrices qui vous ont marquée ?

 

Parce que je n'ai pas l'impression d'être actrice. Ce n'est pas une impression. C'est une certitude. Ce n'est qu'à ce prix-là que l'on peut trouver sa liberté, son envol. J'ai juste la cettitude que je dois l'être, actrice, au moment précis de jouer. Et si je le suis un temps soit peu en dehors, alors j'enlève mes possibilités de l'être absolument.

 

Estimez-vous comme Susan Sontag, que vous n 'êtes "tout au plus qu'à mi-parcours d'une carrière» ?

 

Que Dieu l'entende !

 

ll ne vous manque plus que l'0scar ! cherchez-toujours à progresser ?

 

Non, c'est bon. C'est fini. . . je ne progresse plus (rires). Je n'envjsage pas ma carrière comme cela. D' ailleurs, les mots « défis, challenge, prouver, reconnaissance » ne font pas partie de mon vocabulaire.

 

En vous remettant un prix, Susan Sontag avait fait l'éloge de votre beauté, de votre talent, de votre intégrité, mais surtout de votre intelligence. . .

 

On n'est jamaig assez intelligent. Surtout quand on est actrice. C'est même de l'ordre de la survie, Cela évite de tomber naïvement dans des pieges, d'accepter des compromis, de perdre sa dignité.

 

Toubiana évoque « une faille mélancolique » pour parler du mystère Huppert. . .

 

Les acteurs ne sont pas fragiles. . . mais friables. Il suffit de peu de chose pour que leur moral, leur âme, leur energie s'effondrent. Il suffit d'un rien pour les anéantir.

 

Pourtant, vous donnez l'impression d'être une « femme dure, minérale »...

 

Minérale, justement, comme une pierre, qui peut se casser

 

Le roman «En Amérique» de Susan Sontag, que vous venez d'adapter au cinéma, parle d'un sacrifie, celui d'une femme pour son art, le théâtre. A son image, seriez-vous prête à tout pour votre métier ?

 

Les sactifices, le don de soi, ce sont de bien grands mots pour une si petite aventure. . . non, le cinéma c'est juste une idée fixe pour moi.

 

En février avec « L'ivresse du pouvoir », c'est le retour d'un vieux couple, Huppert/chabrol. Après plus de 25 ans de vie cinématographique commune, qu'avez-vous encore à vous dire ?

 

C'est notre septième film ensemble. Avec Claude Chabrol, j'ai toujours l'impression d'avoir pris un train pour une destination inconnue. Entre nous, il y a plus que de la connivence. On ne parle pas beaucoup pendant le tournage. Il fait son truc de son côté, je bricole du mien. Et puis après on regarde le résultat sur l'écran.

 

Récemment, vous avez chanté avec Jean-Louis Murat des textes de Madame Deshoulières. Pensez-vous comme cette écrivaine méconnue du XVIIè que " quand on a su bien vivre, on a toujours assez vécu » ?

 

Soyez gentil, posez-moi ce genre de question dans une vingtaine d'années. Vraiment, le plus tard possible.

 

 

LUCIEN HERVE «j'AI MARCHE AUTOUR DE SON VISAGE, COMME UNE PROMENADE. . . »

 

J'ai fait la connaissance d'lsabelle Huppert un après-midi de 2003 chez Olivier Beer, un ami commun. EIle était vêtue très simplement avec un pull orange « pétant» sans maquillage - c'est ce que je préfère. J'ai utilisé la lumière du jour et profité du soleil pour faire cette photo. J'ai toujours utilisé la lumière naturelle dans ma carrière. . . La veille, j'avais loué une cassette vidéo, I'un de ses films avec Chabrol. C'était pour mieux avoir son visage « en main ». Je garde le souvenir d'avoir marché autour de ce visage, comme on fait une promenade autour d'une architecture, d'un paysage.

 

NOELLE HOEPPE «UN MOMENT PAISIBLE AVEC MADEMOISELLE HUPPERT »

 

Lorsque je I'ai vue arriver dans la suite réservée à I'hôtel Lutetia, je I'ai a peine reconnue. Elle était bien plus menue que je me I'étais imaginée. Nous avons passé un long apres-midi ensemble, en 1998, pour réaliser une série de photos destinée à faire la couverture et à illustrer un sujet du supplément du week-end du quotidien anglais The Guardian. Tout au long des quatre ou cinq heures de prises de vue, elle a été très patiente, disponible, ouverte, à I'ecoute. Je suggérais les attitudes, en donnant quelques indications (J'aime travailler quasi en silence). Les choses se déroulaient facilement, avec fluidité. Ce fut un moment paisible. Une expérience de calme. J'attendais un moment d'abandon qui m'a été donné et révélé sur une photo unique. Mais sur cette image choisie par mademoiselle Huppert, elle est plus en contrôle. Je trouve émouvant de montrer sa peau constellée de taches de rousseur. Elles sont partout. Je dirais même qu'elle est étoilée de ses propres taches de rousseur. Cela lui donne une luminosité rare.