Le Figaro, le 23 décembre 1998
Cinq films en vingt ans, cela se fête ou cela s'oublie. Pour Claude Chabrol et son interprète élue, Isabelle Huppert, c'est l'occasion d'une confrontation hors champ en forme de conversation à bâtons rompus. Entre les diffusions de Rien ne va plus et Madame Bovary, Michel Pascal a réuni le cinéaste et son interprète pour vingt-cinq minutes d'échange à fleurets mouchetés, de complicité en sourires voilés et de fausses confidences en vraies mises en boîte.
Sur un fauteuil 'conversation', le chat et la souris s'amusent, le vieux hibou malicieux et la femme-enfant délurée s'affrontent. "C'est un peu l'histoire de l'oncle et de la nièce", plaisante Chabrol qui s'empresse de préciser qu'il n'y a là aucune connotation sexuelle.' Maintenant, les actrices, j'ai décidé de les faire jouer sans les faire jouir..." "Avec lui, il faut biaiser", ajoute Isabelle sans ironie.
Est-ce le jeu des générations ou le respect qui ménage la distance pour entretenir un rapport de pouvoir? Elle le vouvoie comme un maître, il la tutoie comme une fille. De Violette Nozière à Rien ne va plus, du drame grinçant à la comédie grimaçante, ils se sont perdus puis retrouvés comme les complices d'un mauvais coup qui n'attendait que des récidives. "Vous êtes deux grands pervers", lance Michel Pascal. Mais Chabrol nie fermement:"Je suis transparent", tout en certifiant qu'il n'a pas d'ego. Elle grimace et lui se coupe en faisant une petite scène de jalousie à son actrice qui a osé s'égarer avec d'autres cinéastes.
"Isabelle est formidable... Elle transcende la médiocrité parce qu'elle a le sens de la tragédie..." Mais qui manipule l'autre? L'actrice montre le coupable du doigt. Lui fait diversion:"Elle me fait rigoler. Les défauts d'Isabelle m'amusent." "Je les impose avec discrétion. Mais je les expose avec constance", admet la coupable. Et ainsi de suite, ils sourient, esquivent, marquent un point. Mais la partie n'est pas si sérieuse dans ce duel de la malice paternelle et de la taquinerie respectueuse.
Quant à l'avenir de ce couple hors du commun, l'un comme l'autre l'imaginent encore long et fructueux. Chabrol pense même faire jouer la Callas à Isabelle sans perdre de vue un de ses grands projets:"Faire un film d'une méchanceté absolue... La méchanceté a son charme. Elle est dangereuse mais pas répugnante. 'Et on sait déjà qu'elle en serait l'interprète.' Après, je te ferai jouer Sainte Thérèse".
Encore une boutade, un coup d'oeil complice et l'entretien s'arrête sans vraiment s'interrompre. Claude et Isabelle continueront la partie devant d'autres caméras. On l'a compris, leur cinéma à eux est d'abord une récréation qui ressemble à une petite guerre des nerfs et des tempéraments.
Par Dominique BORDE
TV: CINEMA. 'Portraits Croisés ', Canal +, 22 h 40, le 23 décembre 1998