Sud Ouest, le 18 novembre 1998
Signée Benoît Jacquot,"l'Ecole de la chair" est un film dominé par l'interprétation d'Isabelle Huppert
Comme des milliers d'autres films, "l'Ecole de la chair" pourrait s'intituler "Un homme et une femme" ou plutôt "Une femme et un homme", mais une chose au moins est sûre, ce film-là, Lelouch n'aurait pas pu le faire. Son incorrigible optimisme n'y aurait pas trouvé de point d'appui (voir ci-dessus).
A vrai dire, Benoît Jacquot se soucie comme d'une guigne d'optimisme ou de pessimisme. Son propos est ailleurs, et seules l'intéressent les trajectoires des êtres, qu'il s'efforce de capter avec le plus de justesse possible, en se tenant à une certaine distance, tout en ouvrant aux comédiens un large champ d'expression. Ainsi, Isabelle Huppert est au coeur de ce film, manifestement écrit pour elle; elle l'habite d'une présence souveraine.
Malgré tout ce que peut évoquer ce titre, "l'Ecole de la chair" n'a rien à voir avec "l'Empire des sens". C'est un film chaste, un film sage sur une passion brûlante. Le désir y est omniprésent, mais les élans restent hors champ. C'est essentiellement sur le visage de Dominique que se lit cette histoire irrésistible, mais condamnée d'avance.
Benoît Jacquot et Jacques Fieschi, son scénariste, sont allés puiser leur inspiration dans un roman japonais, "l'Ecole des corps", de Yukio Mishima. Mais de cette oeuvre fortement enracinée dans le Japon de l'après-guerre, il ne reste que l'idée des personnages principaux, Dominique (Isabelle Huppert) et Quentin (Vincent Martinez), déplacés et replacés dans le Paris d'aujourd'hui.
COUP DE FOUDRE
Elle a passé le cap de la quarantaine, travaille dans la mode. Bourgeoise libre, elle vit sa vie au gré des priorités qu'elle se donne, sa carrière n'étant pas la moindre. Lui est un enfant du siècle et de la galère. 20 ans, une belle gueule que la pratique de la boxe n'a pas encore abîmée. Cynique et fragile, il vit au jour le jour, au fil d'une sexualité ambivalente. Jouisseur ou opportuniste, il va de l'un à l'autre selon l'intérêt du jour. Dominique va le prendre un temps dans ses filets sans le retenir. Le veut-elle? Le peut-elle? Piégée par un coup de foudre, prête à croire un moment qu'elle contrôle la situation et cependant sans illusions, elle en assume jusqu'au bout la souffrance; la résignation et la soumission aux déterminismes sociaux en constitueront la forme achevée...
En voyant le film de Benoît Jacquot, on est tenté de faire le parallèle avec celui de Brigitte Rouan, "Post coïtum, animal triste". Avec beaucoup de culot, Brigitte Rouan plongeait son personnage dans l'hystérie et la névrose en restant toujours vraie, en évitant de sombrer dans le grand-guignol. Jacquot fait une démarche inverse: c'est le refus de l'extériorisation des sentiments et du désarroi, tout au moins de la part de Dominique, qui donne force à cet affrontement, ou le maître du jeu n'est jamais là ou on l'attend, ou les rapports de domination se déplacent sans arrêt.
Cette retenue, comme cette volonté de serrer au plus près le visage de l'héroïne, de suggérer le mal de vivre plutôt que de le montrer, donnent à "l'Ecole de la chair" cette tonalité mineure qui accompagne toujours les profondes tristesses.
par Patrick Berthomeau