Le Figaro, le 25 mai 1998
On l'a d'abord vue envahir l'écran de silence et de malaise: une anti-jeune première, introvertie, impénétrable, qui retenait l'attention à force de ne pas chercher à plaire. Petit visage pointu piqué de taches de rousseur, fermé comme un caillou, quelque chose de timide et de maussade, de farouche et de replié.
Déjà une personnalité marquante. En 1977, Isabelle Huppert venait pour la première fois à Cannes avec La Dentellière de Claude Goretta. L'année suivante, voilà juste vingt ans, elle remportait pour la première fois le prix d'interprétation à Cannes, pour Violette Nozières, de Claude Chabrol, un des réalisateurs qui ont le plus compté dans sa carrière: Une affaire de femmes, Madame Bovary, La Cérémonie, Rien ne va plus. Des titres qui suffisent à évoquer l'étendue de son registre de comédienne, et l'évolution de sa personnalité, aujourd'hui beaucoup plus extravertie, éclatante, radieuse." Avec la maturité, Isabelle Huppert a ajouté le glamour et l'humour à l'intelligence du secret. Elle est à la fois le chatoiement et l'étoffe, le reflet et la profondeur. Sur la scène (inoubliable Orlando...), à l'écran, elle est devenue la grande des grandes. Un rare équilibre de toutes les facultés, l'intelligence, la volonté, la sensibilité, l'imagination. Auteur de beaux portraits de femmes, Benoît Jacquot, qui l'avait fait tourner dans son premier film, Les Ailes de la colombe, n'a pas voulu manquer le rendez-vous avec cette nouvelle Isabelle, à l'autorité rayonnante. Dans L'Ecole de la chair, il lui a donné, face au jeune Vincent Martinez, un personnage d'amazone prise au piège de la passion, qui retrouvera la souveraineté sur elle-même après avoir traversé des zones de perdition. Une fois de plus, un triomphe pour Isabelle Huppert.
Marie-Noëlle TRANCHANT
Le Figaro, May 25, 1998