Benoît Jacquot en trop bon élève du cinéma français

Le Monde, le 25 mai 1998

L'Ecole de la chair. Scénario, mise en scène, acteurs, images, tout est impeccable. Aussi irréprochable et lassant que des gammes bien exécutées. Official Selection.

 

Film français de Benoît Jacquot. Avec Isabelle Huppert, Vincent Martinez, Vincent Lindon, Marthe Keller, François Berléand, Danièle Dubroux. (1 h 45.)

 

On savait que le nouveau film de Benoît Jacquot avait été terminé in extremis. A l'espoir suscité par la présence de ce cinéaste dont les récents films (La Fille seule, Marianne, Le Septième Ciel) signalaient l'accomplissement, s'ajoutait la promesse d'un film fait dans l'urgence. Il produit pourtant exactement l'impression contraire, placé qu'il est sous le signe de la maîtrise et de la performance. Jacques Fieschi a adapté le roman homonyme de Mishima, Benoît Jacquot l'a réalisé, Isabelle Huppert et Vincent Perez l'ont interprété, Caroline Champetier a fait la photo, etc. On citerait volontiers tout le générique, comme un jour de distribution des prix, pour décerner à chacun les Palmes académiques, ou le Prix du meilleur ouvrier de France.

 

Le film est en effet exemplaire d'une certaine idée du cinéma français, fondée sur les dialogues, la psychologie et des qualités d'un jeu ultraprofessionnel qui valent aux interprètes une admiration peut-être légitime mais extérieure à l'oeuvre elle-même.

 

EXCELLENCE FIGEE

 

On pourrait d'ailleurs en dire autant pour chaque poste de travail, comme si chacun se préoccupait de démontrer sa propre excellence... au détriment du film. Celui-ci en reste tout figé. Il s'agit ici de la violente passion éprouvée par une femme de quarante ans, aisée, avertie de la vie, aussi intelligente et séduisante puisque interprétée par Isabelle Huppert, pour un beau jeune homme sorti de la banlieue, cultivant avec application son statut de bel animal sauvage Vincent Martinez, irréprochable.

 

Tout le programme de cette Ecole de la chair tient dans l'observation des mouvements de séduction et de défiance de l'héroïne, et dans la représentation de la manière dont le garçon en joue, en profite, en abuse. Mais il finira pas être dépassé par un face-à-face où sa jeunesse à lui et sa passagère fragilité à elle masquent les véritables rapports de forces, comme nous en informe un épilogue calqué sur celui par lequel s'achevait La Fille seule, mais qui fait ici figure de règlement de comptes plutôt que d'échappée belle ou moche, ce n'est pas le problème. L'adresse de la composition narrative, l'enchaînement de scènes toutes dramaturgiquement rentables, le recours à un exotisme de bon ton (petite virée dans un palace marocain) comme à la french touch chic (on passe et repasse par le milieu de la haute couture, qui contraste si harmonieusement avec celui des cités), font du film une enfilade de conventions élégamment agencées, relevées par un doigt de transgression. Au moins la prestation de Vincent Lindon en travesti a-t-elle le mérite, puisqu'il s'agit pour chacun de faire son numéro, de pousser à la limite ses parti pris avec une distrayante santé.

 

On en vient vite à guetter qui serait suscepible d'affoler un peu cette machine trop huilée, d'une émotion sans enjeu. Roxane Mesquida (par son extrême jeunesse) ou Jean-Louis Richard (qu'on sait capable d'insuffler ce genre de mystère déstabilisant) sont expédiés avant d'avoir pu créer le moindre désordre. Seule Danièle Dubroux, dans l'emploi de la copine paumée, provoque quelques instants de trouble sur ce qu'elle fera la seconde d'après mais la réponse est toujours: rien. La mise en scène travaille autour du double décalé, du miroir faussé, puisque toute la narration repose sur une série de paires inégales : les hommes et les femmes, les hétérosexuels et les homosexuels, les riches et les pauvres, les jeunes et ceux qui ne le sont plus. Mais il s'agit davantage d'une succession d'éléments posés les uns derrière les autres que de la construction d'une complexité à partir de ces composants élémentaires.

 

VAINE VIRTUOSITE

 

Le travail de la mise en scène en est dès lors réduit à un formalisme d'un intérêt limité. Benoît Jacquot se livre à quelques études paradoxales sur le champ-contre-champ, pont- aux-ânes de la réalisation simplette ici reparcouru en toute connaissance de cause, pour d'intéressants effets de rapprochement et de maintien à distance des visages filmés en très gros plans. Mais ce sont autant de gammes effectuées avec virtuosité dont on espère qu'elles serviront un jour à faire de la musique. Qu'elles permettront de retrouver la liberté du cinéaste filmant le même thème (le désir féminin) dans Le Septième Ciel avec un élan ludique et dangereux ici totalement absent comme sont absents le trouble et le mystère auxquels correspondent l'écriture de Mishima. Ce film fait plutôt songer à des exercices imposés ressemblant à la copie d'un élève longtemps turbulent, mais qui aurait cette fois décidé de faire ce qu'il convient pour décrocher le prix d'excellence.