May 13, 1998

Martin Scorsese, héros de la cinéphilie, entre en scène

Le Monde, le mai 14 1998

 

UNE FOIS n'est pas coutume, il faudra finir par remercier la télévision: le strict cadre temporel qu'imposent à la cérémonie d'ouverture les exigences de sa diffusion sur la chaîne Canal plus explique pour une bonne part le rythme auquel se déroule cette formalité chaque année sujette à inquiétude, et chaque année un peu mieux réglée.

Maîtresse de cérémonie toute de volants verts vêtue, Isabelle Huppert aura mené les opérations tambour battant. Elle commence par rendre un hommage appuyé aux metteurs en scène, gratifiés d'un chaleureux Je les aime avant d'être surnommés à bon droit des donneurs de vie. Exorde qui précédait l'arrivée en scène de Martin Scorsese, président du jury présenté par la présidente de la soirée comme un héros de la cinéphilie. A quoi la salle répondit par une ovation debout.

 

Semblable déroulement peut sembler naturel, il est moins évident, à Cannes, qu'il ne le paraît. Au moins en soirée officielle d'ouverture, situation traditionnellement plus volontiers dédiée aux mondanités qu'à l'amour des films. Meilleure interprète que traductrice, Isabelle Huppert restitue approximativement la réponse de Martin Scorsese, qui dépasse la simple formule de politesse lorsque, rendant hommage à la France pour sa défense et illustration du cinéma, il rappelle qu'au cours des années 60, celles de la nouvelle vague, c'est de ce pays que sont venues les réflexions qui lui ont permis de... mieux comprendre le cinéma américain. Présentant ensuite ceux qui auront à juger cette année de la compétition, la présidente affirme qu'il s'agit d' un jury d'artistes, comme toujours, un jury d'actrices comme jamais.

 

DURANT DOUZE JOURS

 

La deuxième partie de la phrase est exacte, la première non: c'est seulement en 1997, pour le cinquantième anniversaire du Festival, qu'avait été tentée l'expérience d'un jury uniquement composé d'artistes. Le résultat un palmarès d'une exceptionnelle qualité justifie qu'on ait répété l'essai: à ce jury 1998 d'asseoir la légitimité d'une telle composition, qui devrait permettre aux verdicts d'échapper aux lourdeurs corporatistes et aux calculs. Après Scorsese, la salle devait réserver une seconde standing ovation non pas à John Travolta et Emma Thompson (vedettes du film du soir montées sur scène déclarer le cinquante et unième Festival international du film ouvert ), mais à Kofi Annan.

 

Rendant un hommage chaleureux aux artistes en particulier de cinéma dont les oeuvres font reculer l'oppression et aux journalistes qui se battent pour la liberté d'expression, le secrétaire général de l'ONU reçut un salut d'une salle qui, pour un instant au moins, parut ne pas vouloir entièrement oublier que le monde durant douze jours ne se limite pas aux dimensions de la Croisette.

 

M. Annan rappela ensuite que le cinéma est partie prenante de la célébration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. A l'initiative de Robert Badinter, cinq courts métrages sur le thème des droits fondamentaux de la personne humaine ont été commandés à autant de cinéastes appartenant chacun à un continent différent. Les films seront projetés simultanément au siège de l'ONU à New York et à Paris, le 10 décembre, jour anniversaire de la Déclaration.

 

A toute cérémonie officielle, il faut une musique qui ne peut manquer de l'être tout autant. Les organisateurs auront aussi déjoué ce pronostic, en faisant venir pour conclure le saxophoniste ténor Joshua Redman, jouant aux barres asymétriques avec les lignes mélodiques de New York New York. Martin Scorsese, qui réalisa le film en 1977, en parut ravi. La ministre de la culture, Catherine Trautmann, qui, en arrivant, n'était pas sûre de l'accueil que lui réserverait une profession qui juge sans aménité son action depuis son arrivée rue de Valois, en parut ravie elle aussi.

 

Cette touche d'anticonformisme sonore venait boucler le lancement d'une manifestation parvenue à donner tous les signes d'un recentrage sur l'intérêt pour les oeuvres, sensation confortée par la quantité et la qualité apparente des programmes de cette année, sur fond d'amélioration mondiale de la situation du cinéma.

 

par: FRODON JEAN MICHEL

Review on Cannes' Opening Ceremony, mai 13, 1998