Le Figaro, mai 14, 1998
LA MAGIE D'ISABELLE
"Good evening, ce soir le monde regarde Cannes et Cannes regarde le monde.' La voix envoûtante d'Isabelle Huppert entraîne déjà son public dans ce moment de légende que deviendra le 51e Festival de Cannes. Posée comme une plume sur une scène qui lui appartient, elle est ce mélange magique d'audace et de fragilité qui donne envie d'écouter et de suivre. Avec elle, chaque entrée est un miracle. 'Un metteur en scène, c'est quelqu'un qui vous regarde et qui par la seule force de la singularité de son regard fait vivre des personnages qui deviennent des personnes', dit la belle en voile bleu. La comédienne est celle qui, comme elle, traduit ce regard et prépare le spectacle dans le coeur du spectateur. Que Martin Scorsese parle, peu, en mots économes d'homme pudique, elle respecte son silence, ses poses, rit de ses hésitations de traductrice. Que les films du maestro se succèdent sur l'écran de la salle Louis-Lumière, étincelants morceaux de bravoure offerts comme un brillant chapelet, elle laisse la salle émue se souvenir et s'enflammer. Que le jury pénêtre, sage et concentré, sur ce plateau de cinéma, elle attend de chacun le sourire, le geste furtif qui le définit. On l'écouterait des heures. Point n'est besoin. Quand Isabelle se tait, le saxophoniste Joshua Redman prend le relais sans un hiatus.
Alain Corneau sourit. Emma Thompson rit en enfant libre. John Travolta fait jouer ses fossettes. Martin Scorsese devient rose comme ses héroïnes au temps de l'innocence. Le cinéma ouvre déjà la porte de la nuit. (Photo AFP)"
ADORABLE
Membre du jury particulièrement courtisé, elle avait charmé Cannes l'an dernier par son sourire mutin, son prodigieux décolleté et ses jambes de Bluebell Girl. Serait-elle blonde comme cette Maudite Aphrodite de Woody Allen, qui parlait haut et sans fard, ou brune comme cette Lulu on the Bridge, de Paul Auster, qui pleure d'amour pour Harvey Keytel, pour monter les premières marches du Festival ? Une certitude : Mira Sorvino (notre photo) porte les paillettes et les (gros) diamants comme personne.
CHANTANT
On espérait un petit pas de deux, hier soir au Palais, pour Jeanne et son ' garçon formidable ', Virginie Ledoyen et Mathieu Demy, fils de Jacques et de la musique. A moins d'avoir une bouffée rock avec Allumer le feu, l'hymne composé par Zazie pour Johnny Hallyday, venu brûler les foules cannoises hier soir à la veille de la sortie de son single, en attendant le concert de Saint-Denis en septembre.
HOMME
Sourire douloureux et charme d'enfer, Willem Dafoe est un abonné au spirituel. Christ à scandale pour Scorcese (La Dernière tentation du Christ), toxico mordu d'amour pour Paul Schrader (Light Sleeper), justicier prêt à tuer Ralph Fiennes sur son lit de mort dans Le Patient anglais, il est impitoyable comme la mauvaise conscience dans Lulu on the Bridge, de Paul Auster. Montée des marches que l'on rêverait aussi glamour que sa prestation torride dans Body avec Madonna en 1993.
ANDALOUSES
Après les vasques de fil de laiton emplies des roses (rouges) du cinquantenaire, Christian Tortu a mis hier soir le dîner d'ouverture du 51e Festival à l'heure espagnole. Pas de bouquets sur les tables des 800 invités. Juste la perspective sur deux jardins andalous, oliviers, cyprès géraniums (rouges), pergolas avec cascade de lierre et de roses (rouges), soit près de 10 000 belles du soir. Le créateur du carrefour de l'Odéon, depuis quatre ans à New York (693, Fifth Avenue), aime la ' frénésie cannoise ', ' cet exercice périlleux qui consiste, comme l'an dernier, à fleurir un dîner de 400 couverts à la dernière minute, piocher dans notre atelier et faire ouvrir la Croisette par des motards pour livrer. J'aime l'exacerbation des sentiments propre à Cannes, quand on sent à travers les sifflets, les larmes et les bravos où ira la palme. J'ai un souvenir vibrant de l'accueil fait à Underground, de Kusturica '. Homme pressé par tous ces bouquets, il espère voir Les Idiots, de Lars von Trier, Aprile, de Nanni Moretti, et L'Eternité et un jour, de Theo Angelopolos.
FEMMES
Concours de beauté hier soir sur les marches dans le sillage de deux tops patentés, Kate Moss et Claudia Schiffer. Le jury de Scorcese est des plus charmants : yeux de braise avec Wynona Ryder, teint de lait avec Chiara Mastroianni, port de reine avec Sigourney Weaver, piquant nordique avec Lena Olin, mordant cubain avec l'écrivain (photo Sygma) Zoé Valdès (Sang bleu). La France était à l'honneur avec Isabelle Huppert, fort belle maîtresse de cérémonie avant d'être dévorée de passion par Mishima (L'Ecole de la chair, de Benoît Jacquot), Sophie Marceau la voluptueuse (en costumes pour Firelight, de William Nicholson), Julie Delpy la frondeuse et Sabine Azéma la Parisienne... Ne connaît-elle pas la chanson?
CHARMANTE BAVARDE
Mon coeur battait pour Isabelle Huppert. Il y a deux ans, j'étais à sa place, j'en ai gardé un bon souvenir, joyeux, inattendu. J'étais avec elle pendant toute la cérémonie d'ouverture, et en même temps j'étais bien tranquille dans mon fauteuil', confiait au dessert Sabine Azéma, malicieuse et terriblement décolletée dans une robe de sirène Christian Lacroix. Charmante bavarde comme toutes ces petites femmes déraisonnables qu'elle a incarnées à l'écran, elle disait son admiration pour Scorcese, cinéaste, cinéphile et fou de cinéma. Tous les grands metteurs en scène ont une cinéphilie incroyable, éveillée souvent par une enfance fragile, asthme pour Scorcese, paralysie pour Coppola, comme si l'immobilité avait décuplé leur capacité d'imaginaire'.
par Valérie DUPONCHELLE
Le Figaro, Cannes Special