à Versailles, une famille nombreuse . Et un a....
de Shirley Temple
pour la petite Isabelle
Isabelle Huppert
Marie Claire, octobre, 1997
L'INTERVIEW DE MICHÈLE MANCEAUX Elle demande: "Ne dites rien de ma vie privée." Ses amours, ses enfants ça lui appartient. Ce qu'elle donne, avec tant d'exigence, tant de talent et d'esprit, c'est son métier, et toutes les femmes qu'elle a été. Isabelle est actrice, passionnément. Et vraiment belle, l'air de rien.
Elle fut «LA DENTELLIÈRE». Puis elle fut «VIOLETTE NOZIÈRE», meurtrière ou pas? Puis « Loulou », folle d'amour dans les banlieues. Puis «LA DAME AUX CAMÉLIAS», «LA TRUITE», «MADAME BOVARY», jusqu'à récemment «MARIE CURIE». Des rôles, on en passe et des meilleurs, de «LA CÉRÉMONIE» à «UNE AFFAIRE DE FEMMES». On en arrive aux deux derniers cette année: Charlotte dans «LES AFFINITÉS ÉLECTIVES», d'après Goethe, mise en scène des frères Taviani, et une petite escroc dans une comédie, «RIEN NE VA PLUS», de Claude Chabrol qui sortira en octobre.
Bref &endash; si l'on peut dire d'une carrière tellement remplie, quarante-huit films en vingt-six ans et des prix d'interprétation partout -, Isabelle Huppert est encore trop jeune pour être «La grande dame» du cinéma, mais elle le sera. Sa vie est inséparable de son travail.
Pourtant, elle vit et mène sa maison d'une manière aussi remarquable que sa carrière, avec discrétion et profondeur. Elle fait des choix, et elle s'y tient. Du même homme, elle a deux enfants et elle attend le troisième. Pour ce bébé, elle a renoncé à jouer au théâtre un rôle qu'elle avait désiré dans un spectacle qu'elle avait elle-même initié. La vie d'abord, mais elle recommander: «Ne dites rien da ma vie privée, même pas le prénom de mes enfants. J'ai horreur d'étaler mon intimité.» - Michèle Manceaux.
Avez-vous remarqué que vous êtes devenue beaucoup plus belle?
Ah, c'est gentil.
Vous ne le voyez pas?
Ça dépend des jours. Même quand on croit qu'on n'était pas belle à vingt ans, si on regarde les photos d'avant, on trouve qu'il y avait quelque chose de la jeunesse, évidemment plus joli: une rondeur, une fraîcheur
Vous étiez plutôt renfrognée. Vous n'étiez pas ronde.
Ah je n'étais pas ronde? Je le serais devenue . (Rires.)
Vous êtes devenue souriante, épanouie, à la fois plus légère et plus profonde.
Je sens effectivement que quelque chose s'est ouvert. J'étais plus renfermée, plus rentrée. Je suis consciente que maintenant je souris. (Sourire épanoui.)
Vous dateriez ça de quand?
Cette transformation? Finalement assez récemment.
On ne peut pas dire que c'est la maternité. Vos enfants ont treize et neuf ans. Ce n'est pas non plus le succès, car le succès, vous l'avez connu très tôt.
Oui, très tôt. Et cet épanouissement. Comme vous dites, date peut-être de quatre, cinq, six ans. Je me suis aussi coupé les cheveux, cela change un visage. Je sais que les transformation morphologiques et structurelles d'un visage peuvent être liées à des changements intérieurs, mais je ne pense pas avoir intérieurement changé. Alors, je ne sais pas, j'ai de la chance, peut-être!
Avez-vous fait quelque chose de spécial?
Ah non! Moi, si j'ai fait quelque chose ? ah non.
Je ne parle pas d'opération esthétique, mais d'un enseignement, d'une discipline morale ou intellectuelle, d'un effort particulier.
Non, pas davantage que ce que j'ai entrepris depuis le tout début de ma vie, à savoir que je souhaite toujours progresser avec la conviction que c'est possible, qu'on peut tous se mettre dans une position ascendante.
Vous avez toujours voulu progresser?
Bien sûr. C'est un réflexe chez moi depuis que je suis enfant.
C'est le fruit d'une vie d'efforts?
Peut-être. Ce serait la récompense d'une conduite appliquée dont j'ai la conviction qu'elle ne va pas s'arrêter! (Rires.) Mais j'éprouve aussi parfois un grand sentiment d'insatisfaction, comme une utopie qui me pousse à essayer de faire mieux. On n'est jamais aussi bien qu'on voudrait être, on ne contrôle jamais autant les événements qu'on le voudrait. C'est douloureux. Je crois que pour aller avers cette utopie, cela passe parle contrôle.
C'est curieux parce que vous donniez justement l'impression d'être très contrôlée et le progrès serait le contraire: enfin, vous ne contrôleriez plus vos élans.
Ah bon. (Rires.) Mais je nommais «contrôle» le pouvoir de faire que les choses arrivent. Cependant, j'ai peut-être acquis une liberté, une sorte d'indifférence ou de légèreté.
Et de chaleur également?
C'est un mot qui n'est pas tout à fait dans mon vocabulaire! J'ai de la chaleur, mais je n'ai jamais voulu en faire commerce ou la mettre en avant. Tendresse, chaleur sont des mots dont je me méfie à cause de l'utilisation qu'on en fait. J'ai toujours le souci de présenter un visage aride et de réserver la chaleur à l'intimité.
Vous gardez votre vie privée aussi secrète que possible &endash; on n'en parlera pas &endash; mais est-ce que se sentir aimée par un homme n'est pas finalement ce qui apparaît sur le visage, sur le comportement ?
Bien sûr. Se sentir aimé, aimer soi-même, avoir des points d'ancrage dans la vie, cela embellit tout.
Vous vous sentez plus sûre, peut-être?
Voilà, c'est là il fallait en venir. La plupart du temps, les gens paraissent un peu durs ou un peu froids, mais ce ne sont que des effets de leurs incertitudes.
Vous étiez timide?
Epouvantablement. Je le suis moins. Si j'arrive, par exemple, seule dans un endroit, je suis moins timide qu'autrefois parce que, justement, j'ai gagné, je crois au fond, une certaine légitimité à être là. Au début de la vie, on n'est pas sûr de la place qu'on occupe et du droit à occuper cette place. Peu à peu, si les choses se passent bien, on ne peut plus nier que la place a été faite.
Vous l'avez gagnée.
Mettons que l'ayant gagnée moi-même, je m'en sens le droit. Cela rend plus serein. En tout cas, plus à l'aise.
Sans obligation de séduire
Exactement. Il n'y a rien de moins séduisant que la volonté de séduire. On est donc très mal à l'aise quand on se croit dans cette obligation-là. On est beaucoup plus charma et séduisant quand on ne pense pas à séduire.
Quand je vous ai demandé : « Est-ce que vous avez fait quelque chose pour embellir?», vous avez sursauté en croyant que je faisais allusion à des interventions esthétiques. Vous condamnez ces pratiques?
Ah non. Comme tout le monde, un jour, je peux très bien penser. Je ne sais pas si j'en aurais le courage, parce que j'ai horreur de tout acte médical quel qu'il soit. Or, c'est quand même un acte médical d'importance. C'est encore assez loin devant moi.
Vous avez décidé d'accepter tous les âges de la vie?
Je n'en suis pas certaine. Je sui hésitante, cela dépendra peut-être de mon métier.
Vous disiez que vous n'aviez pas envie de jouer des rôles de mère
Oh, c'était il y a longtemps. Il me semblait que la maternité contenait trop de certitudes. Maintenant, cela dépendrait seulement de l'âge des enfants dont on me demanderait d'être la mère.
Vous aimez lire, vous aimez les écrivains et vous avez interviewé Nathalie Sarraute. Elle vous a dit : « La nuit, je me réveille, et la première chose laquelle je pense, c'est mon âge. » Cela m'a paru d'une grande honnêteté, mais étonnant de la part d'une femme qui a fait une grande uvre et qui pourrait atteindre justement à plus d'indifférence ou de sérénité.
Quand Nathalie Sarraute dit ça, je pense qu'elle parle de l'âge, pour dire la mort. Avant, dès que j'avais un peu de temps, j'allais au cinéma. Maintenant, je lis. Une soirée chez moi à lire, rien de mieux.
Vous êtes en trains de lire les lettres de Simone de Beauvoir à son amant américain.
Oh, j'adore. D'abord, j'ai toujours aimé Simone de Beauvoir. J'ai lu «Le Deuxième Sexe» quand j'avais seize ans et je reste sur cette impression-là.
Dans ce recueil de lettres, Simone d Beauvoir se montre si midinette, si folle d'amour parce qu'elle semble quand même un peu naïve et en contradiction avec le féminisme pur et dur qu'elle a prôné.
C'est ce que je trouve extraordinaire. Elle bâtit une église sur son système d pensée et le sexe balaye l'idéologie. C'est bouleversant.
Et vous-même aujourd'hui, êtes-vous féministe?
C'est difficile de définir le féminisme aujourd'hui. Justement, la dualité de Simone de Beauvoir en témoigne.
Vous vous y retrouvez?
J'aime beaucoup de choses en elle. Le fait qu'elle ne se plaigne pas, qu'elle arpente la montagne pendant quatre heures de suite. (Rires.) Pour quelqu'un comme mois qui a du mal à se lever le matin, elle sert de modèle.
Sa vie, sa pensée ont été bouleversées par la passion. Dans le film qui sort ces jour-ci, «LES AFFINITÉS ÉLECTIVES», d'après Goethe, vous jouez Charlotte, un des quatre personnages que la passion terrasse. Saviez-vous très jeune que la passion peut tuer ?
J'ai le sentiment que je n'étais pas en retard sur ce sujet. (Rires.)
Est-ce un hasard, un projet de vie, un but qui vous fait mener votre vie sentimentale avec une stabilité très rare dans votre métier ?
C'est rare mais pas unique.
Ce n'est pas unique, mais le question demeure posée à tous et à toutes : la vie conjugale après de longues années permet-elle encore de vivre avec son conjoint sure le mode de la passion ?
L'amour et la passion, ce n'est pas pareil. On peut aller de l'un à l'autre selon les jours. Il y a aussi ce ciment commun qui est l'amour des enfants.
Peut-on considérer l'amour conjugal comme un projet de vie auquel on s'applique?
Une application, je n'y crois pas. On dit que l'amour se travaille, qu'il faut se séduire chaque jour, qu'il faut savoir faire des sacrifices etc. Ça me semble intenable, ce côté volontariste de l'amour.
Vous diriez que l'amour se prouve par la durée?
Peut-être. Je ne remets pas ma vie en question tous les six mois. Je n'ai pas de réponse. Chaque personne a la sienne. Il n'y a aucune généralité possible sur l'amour.
En choisissant d'avoir un troisième enfant alors que vous deviez jouer un rôle très désiré dans « LA MAISON DE POUPÉE » avec une metteuse en scène que vous aviez vous-même recherchée, vous avez fait le choix exceptionnel pour une actrice, et encore plus pour une femme qui a déjà deux enfants, de renoncer à ce rôle.
C'est que je n'ai pas pu faire autrement.
Vous auriez pu décider: « Non, je préfère jouer ce rôle »
Cela aurait été violent.
Bien sûr, mais vous auriez pu penser : «J'ai déjà deux enfants à peu près élevés. C'est difficile de tout recommencer avec un bébé. »
Cela ne m'est pas venu à l'idée. Pas une minute. Renoncer à ce rôle a été douloureux sur le moment, mais comme j'ai toujours beaucoup de recul par rapport aux événements et par rapport à ce qui m'arrive, j'ai trouvé qu'il y avait quelque chose de peut-être amusant là-dedans.
Il faut dire que vous avez interprété beaucoup de très beaux rôles.
Cette fois, c'est moi qui avais entièrement initié ce spectacle, mais bon, voilà, maintenant je suis ravie.
Ce n'est pas non plus forcément une partie de plaisir d'être enceinte pour la troisième fois.
Je ne sais pas, j'ai toujours aimé être enceinte.
Vous avez fait allusion aux spectacles, aux films que vous initiez. Vous aimez faire appel à des auteurs, les contacter, leur suggérer un travail commun, une uvre à créer.
Oui, de plus en plus.
Vous avez envie de créer de tous les côtes: des enfants, des pièces
Je pense surtout que ce qui est le plus important, c'est de donner du sens à la vie.
Et si la vie n'avait pas de sens ?
Pour moi, il y a du sens. Là où il n'y a pas de sens, il n'y a que l'absurde, le vide et pas de plaisir. Tout ce qui m'importe, c'est de donner du sens.
C'est pour cela que vous aimez Simone de Beauvoir ?
Parce qu'elle donnait du sens à tout. Vous pensez qu'il n'y a pas de sens? C'est une idée aussi. A force de vouloir toujours donner du sens à tout, je perds un peu la notion de la gratuité, c'est-à-dire du plaisir de l'instant.
Heureusement, vous jouez la comédie. C'est le plaisir de l'instant. Est-ce que jouer, c'est se fuir, se cacher?
C'est fuir une certaine réalité, mais pas fuir sa réalité. Jouer, au contraire, c'est être à la recherche constante de soi-même, de toutes les facettes qu'il y a en soi.
Vous avez joué beaucoup de rôles de femmes douloureuses.
Oui, j'avais une corde en moi qui résonnait de cette façon. Je l'ai peut-être encore si je pense à deux, trois personnages que j'ai envie de jouer qui sont encore des femmes douloureuses.
Les femmes souffrent davantage de l'amour parce qu'elles sont passionnées?
Je dois être un homme, alors. (Rires.)
Pourquoi?
Parce qu'il y a des moments où j'ai l'impression d'avoir plutôt peur d'aimer que de trop aimer. Les deux cordes, masculine et féminine, résonnent en moi.
Cette androgynie se sentait même physiquement quand vous étiez plus jeune, et ce qui a changé en vous, c'est peut-être que vous êtes devenue une femme?
Oui et non. Ce qui résonne le plus spécifiquement en moi, ce sont des rôles de féminités blessées. Comme Charlotte dans LES AFFINITÉS ÉLECTIVES. C'est une femme en pleine possession de ses moyens. Elle contrôle les événements, elle est assez épanouie et tout à coup, patatras! tout se fissure.
Votre côté masculin viendrait de la peur de devenir une de ces femmes douloureuses que vous interprétez si bien ?
La peur d'être une femme douloureuse, je n'avais pas vu ça comme ça. Ou la peur d'être une femme tout court. (Rires.) Peut-être même la volonté d'être plus qu'une femme pour avoir aussi des prégoratives d'homme. C'est vrai que j'aime de plus en plus initier des projets et jouer les rôle que j'ai vraiment voulus. Mon parcours en témoigne: j'ai aimé ce que j'appelle l'état de princesse chez une actrice. Les actrices sont un peu des princesses endormies prêtes à se réveiller par une proposition. Et j'ai aimé l'état de soldat. C'est-à-dire que j'ai aussi envie de partir au front, d'être maîtresse de mon destin. Non plus soumise au désir des autres, mais induire les événements.
Les actrices veulent même souvent passer à la mise en scène, de Jeanne Moreau à Nicole Garcia
Voilà, c'est une façon d'être plus active, mais c'est évidemment un état paradoxal parce que le plaisir d'être actrice, c'est aussi d'être soumise avec volupté au regard et au désir. Donc, je me sens toujours un peu en manque. Je suppose que c'est un sort commun à toutes les femmes, et aussi à tous les hommes.
Pourquoi, quand les femmes sont intelligentes, les traite-t-on d'intellectuelles?
C'est stupide, mais bah..
Vous avez malheureusement tendance à être jugée
Comme une intellectuelle. Tant mieux. Je préfère qu'on me prenne pour une intellectuelle que pour une imbécile.
Bonne réponse
Je l'ai déjà donnée, mais je vous la redonne parce que j'en suis assez contente! J'aime les intellectuels, j'aime les gens intelligents et j'aime faire des progrès. Reprocherait-on cela à un homme?
Propos recueillis par Michèle Manceaux