Premiere N°242, mai 1998
On l'imagine volontiers liseuse et cérébrale, réfléchie et intello. Faut dire que beaucoup de ses films se prêtent plus à faire fonctionner les cellules grises que les zygomatiques. Et puis on la voit en postière rentre-dedans et riante dans « La Cérémonie », de Chabrol, ou bien aujourd'hui en Marie Curie aussi espiègle que scientifique dans « Les Palmes de M. Schutz », de Pinoteau. Si ça se trouve, one se trompe totalement sur elle. Elle n'en a pas marre, Isabelle ?
Vous n'en avez pas marre de votre image d'actrice intellectuelle?
Je préfère qu'on me prenne pour une intellectuelle que pour une imbécile. Quand one est comédienne, on a une liberté relativement illusoire &endash; l'image, le choix de rôles Plus on avance et moins on a de choix parce qu'on essaie de faire des choses de qualité. Quant à l'image, on est toujours marqué par le premier rôle qui vous a fait connaître. Moi, c'était La Dentellière (de Claude Chabrol). Pas particulièrement une intellectuelle. Vous voyez comme c'est compliqué, ces choses-là. Pourtant, j'ai aussi tourné des comédies, encore que cette distinction entre comédie et drame ne m'ait jamais paru particulièrement significative. La Cérémonie, par exemple, n'est pas une comédie, c'est un film noir ; mais, j'y joue un personnage de comédie. Amateur, d'Hal Hartley, est un film basé sur le comique d'observation. Il y a des choses qui font rire ; une façon très plate de parler, de balancer les répliques. Mais c'est plaisant aussi de jour des personnages pas totalement obsessionnels ou fous. J'ai pris un plaisir incroyable à découvrir Marie Curie. C'est revigorant de jouer une personne aussi comique, énergique et peu névrosée.
Vous incitez parfois les metteurs en scène à vous engager?
Ç a peut m'arriver. Quand j'ai vu Trust Me, d'Hal Hartley, j'ai eu envie de lui écrire. Il ne faut pas que ce soit gratuit, il faut que ça corresponde à une émotion ressentie à un moment précis.
Il y a des films que vous avez vus dernièrement et qui
Oui, j'ai vu Rebecca hier. J'ai trouvé ça formidable !
Hitchcok tourne de moins en moins quand même
Oui, je sais. Mais j'ai aussi vu Marion, de Manuel Poirier. Très bien.
Vous n'en avez pas marre de tourner à l'étranger ?
J'aime partir et j'aime les voyages. Quand on tourne à l'étranger, on est à la fois seul et entouré de 50 personnes qui ne demandent qu'à vous faire plaisir et à vous apporter du thé. C'est l'idéal et pas franchement le comble de l'aventure. Ce qui peut se passer, en revanche, c'est de ne pas s'entendre avec les gens. Mais on peut ne pas s'entendre avec les gens dans le 16th arrondissement.
Dans ces cas-là, vous prenez sur vous ?
Pour un acteur, le vrai problème, c'est de tourner avec un metteur en scène qui est incapable de vous indiquer la route. Rien n'est difficile pour un acteur pourvu que ce contrat-là soit rempli. Par nature, j'ai horreur des conflits et je fais tout pour les tenir à distance. Je ne peux pas dire que je me sois très bien entendue avec Hal Hartley par exemple, mais je fais en sorte que ça se passe bien. Il suffit d'un tout petit effort. A l'inverse, c'est très jouissif d'être comme un bloc d'airain sur lequel tout glisse. Ça devient comme un défi à tenir jusqu'au bout.
"j'avais lu le scénario de La Leçon de piano, et je peux regretter de ne pas m'être assez battue"
Vous n'en avez pas eu marre d'avoir raté une carrière américaine après l'échec de La Port du paradis ?
Non, parce qu'on ne maîtrise pas tout. En revanche, j'avais lu le scénario de La Leçon de piano, et je peux regretter de ne pas m'être assez battue, même si je ne pense pas que j'aurais fait le film.
Pourquoi ?
La production voulait une actrice américaine, je crois. Dans ces cas-là, les acteurs américains sont très pugnaces, ils n'hésitent pas à auditionner. Moi, on me demanderait d'auditionner pour un truc, je dirais au metteur en scène d'aller voir mes films. Là, je peux regretter, c'est vrais. Mais La Porte du paradis, je ne peux que me féliciter de l'avoir fait. J'ai plus de regrets pour Michael Cimino. Si j'étais partie en Amérique, je n'aurrais peut-être pas fait Une affaire de femmes ou Orlando. Il faut aussi voir les avantages. J'ai mon rythme, je fais un film tous les sept ans là-bas. Généralement, set ans, c'est quand on quitte sa femme. Moi, c'est quand je tourne en Amérique.
Vous n'en avez pas marre de recevoir des prix ?
Jamais. C'est toujours agréable, mais on vit très bien sans.
C'est souvent avec Claude Chabrol que vous avez des prix. Vous n'en avez pas marre de tourner avec lui ?
Non. Si je pouvais faire trois films par an avec lui, je les ferais. C'est quelqu'un que j'aime infiniment et qui, à chaque fois, me donne des rôles vraiment différents. Que ce soit dans La Cérémonie ou dans Rien ne va plus, qu'on vient de finir, il élargit toujours plus mon type de personnage. Dans Rien ne va plus, je change de tête tout le temps, je mens tout le temps, je cours après le bonheur, prête à tout pour l'attraper. C'est formidable à jouer.
Pour en revenir aux prix, le Nobel de la meilleure actrice, c'est pour quand ?
Le Nobel, c'est pour Marie Curie, pas pour les actrices. Il faut rester humble.
Dans le film, vous parlez avec un accent polonais. Vous n'en avez pas eu marre ?
Non, c'est mois que en ai eu l'idée. Au départ, il n'en était pas vraiment question. Un jour, en me réveillant, je me suis dit que ça n'allait ps. J'en ai discuté avec Claude Pinoteau. On a tourné certaines scènes avec et sans accent et on a fait le choix. J'ai trouvé l'accent tout de suite. J'ai simplement demandé à rencontrer un professeur des Langues O pour vérifier si je prononçais bien mes r et me j. Il y a juste un mot que j'ai essayé de refaire en post-synchro, mais je n'y suis pas arrivée.
Quel mot ?
«Truisme». J'aurais aimé prononcer le s un peu plus z.
Vous n'en avez pas marre de n'être qu'actrice et de pas réaliser de films ?
On me le propose souvent, mais c'est beaucoup de travail. Comme tous les gens qui travaillent beaucoup, je suis très paresseuse. Je suis très satisfaite de mon état d'actrice, mais pourquoi pas, un jour ou l'autre, par curiosité ?
L'aspect technique ne vous fait pas peur ?
J'ai un peu compris, mais pas tout. Je sais exactement quand la caméra est bien placée pas rapport au sentiment que je dois exprimer au moment où je dois l'exprimer. Est-ce que j'aurais le même instinct en étant de l'autre côté de la caméra ? Oui, probablement. J'aimerais filmer les acteurs de très près.
De quoi avez-vous marre en ce moment ?
De moi, des autres. Des autres, de moi. Ça m'arrive souvent après les tournages. Pendant plusieurs semaines, on est filmé dans des proportions proprement « inhumaines », dans une sorte d'extension de soi. Quand le film est terminé, j'ai envie de revenir à une taille humaine, de me rétracter, de retrouver le silence. Il me faut un peu de temps avant de repartir.