Le Figaro Magazine, le 5 avril 1996
Souveraine Isabelle
Sur la scène du National Théâtre de Londres, Isabelle Huppert incarne Marie Stuart, cette reine d'Ecosse élevée en France, décapitée en 1586. Un personnage dont la hauteur et la beauté n'ont cessé de fasciner.
Royal Nationa Theater
London, 1996
Isabelle Huppert dans le rôle de Marie Stuart : pour la première fois, elle joue sur une scène londonienne. En anglais. La critique britannique lui a réservé un accueil contrasté.
La reine Elisabeth vient de lui faire couper la tête. Isabelle Huppert sort de scène et ôte la robe de Marie Stuart &endash; une robe rouge sombre, comme l'avait désirée la reine d'Ecosse le jour de son exécution, afin que la couleur de son sang se noie dans la teinte des étoffes. Elisabeth I a triomphé de sa rivale.
Depuis quelques jours, au milieu d'une troupe entièrement anglaise, elle interprète au National Théâtre de Londres la pièce de Schiller, dans une mise en scène d'Howard Davies.
Je suis la seule Française de la troupe, dit-elle, je me sens comme Marie Stuart au milieu de l'Angleterre lorsqu'elle a dû quitter la France pour venir ici, après la mort de son maire François II.
Marie Stuart interprétée par une Française : normal.
C'est la première fois qu'Isabelle Huppert joue, en langue anglaise, sur une scène londonienne. Ce choix n'est pas un hasard : il était naturel que Marie Stuart, élevée en France, soit interprétée au théâtre par un actrice française.
Je parle correctement l'anglais, mais j'ai aussi beaucoup travaillé avec des professeurs. Il faut dire qu'ici tous les acteurs ont des « coatches » lors de répétitions, pour les aider à placer leur voix, à respirer, à sortir le texte.
Il y a dix minutes, elle était encore en scène. Dans une heure et demie, elle recommence. Entre les deux représentations, elle a la correction de ne pas offrir un autre spectacle, « celui de d'actrice habitée par son personnage et qui, en plus, doit maintenant recevoir une journaliste ». Gaie, détendue, un peu pâle, elle savoure métier. Même lorsque celui-ci comporte des épisodes fâcheux.
Elle a dû affronter les critiques de la presse britannique, qui ne sont pas réputés pour leur clémence. Pas facile, sur leur terrain, de venir jouer chez les Anglais une pièce évoquant l'histoire de leur pays. Ils n'aiment pas beaucoup ça. Naguère, Simone Signoret a été fort maltraitée &endash; c'est le moins qu'on puisse dire &endash; lorsqu'elle a joué lady Macbeth à londres. Elle déclencha une hostilité comme on n'en avait pas connue depuis Azincourt. Isabelle Huppert a plus de chance : « elle décore la scène avec la vigueur d'un pur-sang raffiné », lit-on dans L'Indépendant. « Elle domine chaque scène avec une incroyable émotion physique indomptée » et « sa performance est étonnante ». L'Observer n'est pas en reste : « Elle est triomphante, passionnée, volcanique. » Plus loin : » L'héroïque qualité de rigueur est mémorablement projetée par la très bienvenue Mrs Huppert. » Quant au Sunday Telegraph, il résume simplement : »Inoubliable. »
Jusque-là, on ne peut qu'admirer. Mais Mais la presse parisienne a d'abord repris les critiques de deux journaux, le Daily Telegraph et l'Evening Standard, malmenant passablement l'actrice : on lui reproche « d'avaler ses répliques comme si elle les avait apprises sur des enregistrements de Linguaphone », d'être « terriblement décevante » et de déverser un « flot continu et angoissé de paroles avec la mauvaise intonation ». L'opinion qu'on en tire est des plus négatives.
Cette méthode d'information, proteste Isabelle Huppert, est mensongère, ou tout du moins pèche par omission. Ce sont des méthodes inadmissibles, sinon à mon égard, en tout cas pour le spectacle et très certainement pour la presse anglaise en général.
Si les Français se mettent à présent à faire des coups de Trafalgar à leurs coptriotes par-dessus la Manche, où allons-nous ?
Par Nicole Manuello