Histoire d'elles

 

1973. Elles avaient vingt ans. Ou presque : l'une un peu plus, l'autre un peu moins. On ne les connaissait pratiquement pas : à elles deux, elles n'avaient tourné qu'une dizaine de films. Des petites rôles.

1973, c'est l'année des "Valseuses". Au bout d'un quart d'heure de projection, des centaines de milliers de garçons et filles savaient déjà que ce film-là serait LE film de leur génération. Une demi-heure plus tard, ils étaient tous amoureux d'une petite blonde adorable qui ne ressemblait à personne et démoda d'un seul coup toute une floppée d'actrices : Miou-Miou. A vingt minutes de la fin, tous rêvaient les yeux grands ouverts en la voyant, avec Depardieu et Dewaere, aider une adolescente de rencontre à perdre son pucelage dans le plaisir et la tendresse. L'adolescente, c'était Isabelle Huppert.

1983. Miou-Miou et Isabelle Huppert se partagent l'affiche de "Coup de foudre", le nouveau film de Diane Kuris. Depuis "Les valseuses", ce n'était jamais arrivé. Et leurs univers cinématographiques sont si différents qu'elles ont "réussi", en dix ans et quarante sept films (vingt pour Miou-Miou, vingt sept pour Isabelle Huppert), à n'avoirqu'un seul metteur en scène en commun : Joseph Losey (avec Miou-Miou "Les routes du Sud" (78). Avec Isabelle Huppert : "La truite" (82).

De Miou, on retient surtout des personnages. Ceux qu'elle a interprétés dans "Dites-lui que je l'aime", dans "La dérobade", dans "Josepha". D'Isabelle Huppert, depuis les deux rôles qui en ont fait la tête d'affiche, "La dentellière" (76) et "Violette Nozière" (78), on se rappelle surtout des films "Loulou", "Sauve qui peut la vie", "Coup de torchon".

Avec "Coup de foudre", elles trouvent, en même temps, un film et un personnage qui vont nous marquer pour longtemps. Car "Coup de foudre" est une magnifique réussite, un fiilm submergé d'émotions, et qui nous propose le plus beau duo de femmes que l'on ait vu depuis des années.

Elles s'appellent Madeleine et Léna. Quand elles font connaissance, par hasard, au début des années cinquante, elles sont fort différentes l'une de l'autre, mais dès le premier regard, dès le premier mot, elles savent qu'elles se reverront. Elles se revoient donc, apprennent vite à s'apprécier, deviennent inséparables. Cette passion ira loin : jusqu'au divorce d'avec leurs maris, jusqu'à ce qu'elles puissent enfin vivre ensemble, ne plus se quitter...

Diane Kurys ne cache pas que, après avoir revécu ses 13-14 ans dans "Diabolo menthe", ses 18 ans dans "Coktail Molotov", cette fois, ce sont parents (interprétés par Huppert et Guy Marchand) qu'elle raconte. Avec un tel sujet, difficile de ne pas livrer beaucoup de soi : ses préférences, ses chagrins de petite fille affleurent souvent. Ces petits "dérapages", ce sont les battements de coeur de "Coup de foudre.. Cette histoire-là n'est pas qu'une anecdote, pas qu'une bonne idée de scénario.

 

Inspirée par son sujet, sachant être ni trop simple, ni trop ambiguë, Diane Kurys a réalisé là son plus beau film, et de loin : même "Diabolo menthe" (pourtant fort réussi, on l'a un peu vite oublié) n'avait pas cette puissante d'émotion, cette justesse dans l'évocation d'une époque révolue, cette évidence. Ni, surtout, cette beauté formelle. Car, en plus, "Coup de foudre" est un film qui donne beaucoup à voir. Rien de très spectaculaire, mais grâce au scope, aux décors, aux costumes et à la photo lumineuse de Bernard Lutic, "Coup de foudre" est film visuellement superbe.

Dix ans après "Les valseuses", Miou et Huppert ont re-joué en fait la même histoire. Dans le film de Blier, Miou aidait Huppert à se délivrer de la tutelle des parents. Dans celui de Diane Kurys, elle l'aide à se délivrer de la tutelle de son mari. Dix ans ont passé, leurs images publique et professionnelle ont évolué, mais c'est toujours à Miou qu'on demande d'évoquer la liberté et la révolte, et c'est toujours à Huppert qu'on demande d'inspirer la frustration, la douceur, la retenue.

Elles sont pourtant ici telles qu'on ne les a jamais vues. Et pas seulement arce qu'elles se sont fait une tête "années 50". Portée par des scènes très très fortes, Miou-Miou est encore plus bouleversante que dans ses compositions précédentes les plus dramatiques (et il y a le choix). Quant à Isabelle Huppert, qui n'a pas eu si souvent des personnages aussi riches, aussi complets à défendre, elle accomplit là sa performance d'actrice la plus mémorable.

Mais comme "Coup de foudre" ne nous raconte pas seulement l'histoire d'une folle amitié entre deux femmes, mais aussi l'histoire de deux maris plaqués, les hommes n'y sont pas réduits à la portion congrue. Jean-Pierre Bacri, révélé par "Le grand pardon", est ici tellement convaincant qu'on devrait le revoir partout très vite. Quant à Guy Marchand, avec le rôle le plus difficile de sa carrière, il prouve définitivement qu'il mérite maintenant qu'on lui confie des tâches encore plus imposantes. Sans lui ni Bacri, ce "Coup de foudre" ne serait qu'un coup de coeur.

Marc Esposito.

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