Première N°182, mai 1992
Une réalisatrice. Une comédienne. Ou le présent retrouvé. Diane a mis un trait sur son passé et Isabelle ne réfugie plus dans les rôles à costumes. « Après Amour » est une subtile interrogation sur l'amour côté femmes.
Diane Kurys attaque les années quatre-vingt-dix pleine d'une nouvelle énergie. Elle vient de réaliser « Après l'amour » et d'effectuer un pas de géant. Un véritable saut qui la ramène enfin du côté de ses contemporains. Finies la patine du temps, les aquarelles tendres et cruelles qui revisitaient ses années cinquante, soixante-dix, et déroulaient le film des souvenirs de la réalisatrice. Elle vient de refermer, provisoirement, l'album de faille pour se plonger dans le nouveau désordre amoureux.
Pas vairment perturbée par le changement de ton et de registre, la réalisatrice esquisse une pointe de nostalgie en évoquant les bouffées de souvenirs qui remontaient lossqu'elle retrouvait, pendant un tournage, un objet d'enfance, « ces détails qu'on croquait tous les jours comme de peities madeleines » Mais le désir de passer la vitesse supérieure, à l'âge adulte, était devenu trop fort. « Avec "La Baule-les-Pins", j'ai eu le sentiment d'avoir bouclé un époque. Maintenant, il faut que je rattrape mon temps. Et puis, l'envie m'est venue de parler d'amour. Si on veut être obsédé pendant un an par un sujet, autant que ce soit par l'amour plutôt que par le thermonucléaire ! »
Diane Kurys est une incorrigible raconteuse d'histories d'amour. De « Diabolo menthe » à « Un homme amoureux », elle a déjà décliné le sujet sous toutes ses formes. Mais la veine est inépuisable. « Au moment où j'allais écrie le film, je n'avais autour de moi que des gens qui se séparaient, qui se déchiraient et qui soufraient. Ça m'a poussée à écrire ce film. J'ai joué à Ménie Grégoire. J'écoutais les drames des autres.» Dans «Après l'amour», j'essaie de montrer comment on se débat, comment on essaie de vivre l'amour aujourd'hui. Il y a ceux qui ne vivent que pour la passion et qui arrêtent tout dès qu'elle s'estompe. Et ceux qui s'accrochent et restent fidèles coûte qu coûte. Chacun, à sa façon, a un problème avec l'amour. Les femmes sont plutôt malheureuses, les hommes plutôt paumés. Et on va encore me traiter de misogyne ou de misandre, ou les deux à la fois. Et moi, je vais répondre : «C'est la vie, c'est tout. »
Comédienne à ses débuts, Diane Kurys a retenu de cette expérience la nécessité absolue de soigner le casting. Ses choix sont précis, réfléchis. «J'ai rencontré Isabelle Huppert sur le tournage de «Coupe de foudre». Personne ne la connaît sous son vrai jour parce qu'elle se cache et se protège. J'ai voulu casser l'image figée de «La Dentellière». Opération réussie. Jamais la comédienne n'est apparue aussi fraîche, aussi vive, aussi vraie. Pourtant, Diane Kurys reconnaît avoir mis du temps à comprendre les acteurs. Sans doute parce qu'elle est passée de l'autre côté de la barrière? « Peut-être. J'avais tendance à les considérer comme des pions. Il y a peu de temps que je commence à me sentir bien avec eux sur un plateau. Maintenant, je vais vers eux par pur plaisir. Mais ça ne change pas grand-chose à ma manière de travailler. Parce que flatter, brusquer ou embobiner un acteur pour obtenir quelque chose de lui, je ne sais pas le faire. Je suis incapable d'être tordue pour demander les choses.»
Même si les bribes d'autobiographie sont moins présentes dans « Après l'amour », la réalisatrice avoue qu'il y a pas mal d'elle dans ses personnages. Surtout celui de Lola, qu'interprète Isabelle Huppert. « Si j'arrête de réaliser, parce que le cinéma, c'est fatigant, j'écrirai, comme Lola. Mais ce n'est pas pour demain. « Après l'amour » tourne une page. J'avais atteint un palier. Ou je continuais sur le même niveau, ou j'essayais de me hisser d'un échelon. C'est ce qu j'ai tenté de faire.»
Isabelle Huppert joue Lola, un écrivain solitaire qui aime deux hommes à la fois. Un personnage que Kurys lui a écrit sur mesure.
Elle en avait assez des hystériques, des lascives et des corsetées. La flamboyante comédienne a adoré le rôle de cette femme d'aujourd'hui qui comprend tout de la passion et des hommes. Mais qui trop embrasse mal étreint, et la solitude est au bout de l'aventure. Voilà dix ans, elle avait déjà joué dans un film Kurys, « Coupe de Foudre », au côté de Miou-Miou et de Guy Marchand.
Ces dernière années, on vous a rarement vue dans des rôles contemporains.
Effectivement. J'ai réalisé cela le premier jour du tournage d'Après l'amour.
Pourquoi ? les costumes vous manquaient ?
Bien sûr. Quand on se promène dans un personnage historique comme Madame Bovary, il y a un tas de choses qui s'interposent entre soi et le personnage : l'époque, le texte, la langue, la façon de fire les mots aussi. Ce sont autant de strates derrière lesquelles on se protège.
Et vous avez eu envie de tomber le masque ?
J'ai en tout cas redécouvert le plaisir de traduire des actes très quotidiens dans un scène. Un personnage contemporain est finalement plus difficile à interpréter parce qu'on ne peut pas se reposer sur des artifices. En revanche, le public s'extasie volontiers devant des rôles historiques parce que la distance entre lui et le personnage provoque plus de curiosité.
Moins de drame, moins de douleur, moins d'hystérie, le personnage de Lola a dû vous reposer de vous derniers rôles.
Oui, inconsciemment, j'avais besoin de légèreté. Je sentais que le personnage de Lola était vraiment proche de moi, plus qu'aucun autre. Ceux que j'ai joués auparavant étaient plus l'expression de fantasmes. Pour interpréter Lola, on me demandait simplement d'être moi-même, quotidienne, normale. C'est agréable.
Lola est un personnage-clé du film.
Il fonctionne surtout comme un pivot autour duquel s'articulent tous les autres. Elle est écrivain et aime deux hommes à la fois. Deux hommes qui ont également un doublevie. En fait, à travers ces personnages, on suit l'histoire d'une génération, celle des trente, quarante ans. Ils ont joui d'une certaine liberté murs née dans les années soixante, soixante-dix. Mais aujourd'hui, ils as aspirent à des sentiments plus traditionnels, plus rassurants, la fidélité, par exemple.
On est loin des « Valseuse ».
Bien sûr. La liberté, on en a usé et abusé. Ça a apporté un peu de fantaisie à la vie, pas mal de couleur à l'existence et quelques grands plaisirs. Mais maintenant qu'on y a goûté, on a besoin d'autre chose.
Cela ne simplifie pas pour autant les historie d'amour des personnages.
Non, parce que quand on vit une histoire d'amour à vingt ans, elle n'implique que soi. Alor qu'à quarante ans on entraîne forcément d'autres personnes. C'est pour cela que le film présente toute une constellation d'histories imbriquées les unes dans les autres. Vous touchez à un maillon et c'est toute la chaîne qui s'ébranle.
Dans « Après l'amour », on découvre une Isabelle Huppert moins froide, moins distante. Ouverte et gaie. Diane Kurys nous a avoué qu'elle a eu envie d'explorer cette facette de votre personnage. Est-ce que, vous aussi, vous éprouviez ce désir ?
Bien sûr. Et depus longtemps. Mais on prête souvent aux comédiens des volontés qui le dépassent. Il y a beaucoup moins d'alternatives qu'on ne le pense dans la vie d'un acteur.
Pourtant, une actrice comme vous doit recevoir une multitude de propositions de films ?
N'exagérons rien. Non, je vous assure que notre marge de choix est illusoire. Notre pouvoir est dans le refus. On peut ne pas accepter un scénario. En revanche, on n'imposera pas à une réalisateur de nous choisir contre sa volonté.
Et vous avez le sentiment de ne pas avoir toujours fait les bons choix ?
Je ne ressens pas encore le besoin de faire le point sur ma carrière. Je n'aime pas me retourner. Je ne tomberai pas dans le cliché du « à l'impression que c'est le premier », parce que c'est faux. En revanche, il est vrai que j'oublie assez vite les films dans lesquels j'ai tourné. Ma mémoire est floue. Seul mon inconscient reste chargé. Mais ça ne pèse pas. Heureusement, parce que si j'avais à traîner, comme des boulets, les quarante-cinq films que j'ai tourné, je serais incapable d'avancer.
Il y a bien quelques films qui vous ont plus marquée d'autres ?
Bien sûr. Mes films restent surtout des moments de vie. Je me souviens plus des expériences vécues pendant le tournage que du film lui-même. Quand on évoque une scène, moi, je me souviens d'abord du temps qu'il faisait ou de ce qu'on a mangé ce jour-là.
Par Thierry Decourcelle