Madame Bovary
Première N°170, mai 1991
Allez, on ne va pas vous (re)faire le coup du"Madame Bovary, c'est vous, c'est moi, c'est elle..." Au fait, c'est qui, la Bovary, au juste? Rien qu'une petite bourgeoise de province enlisée dans un mortel en- nui, une midinette éperdue au romantisme de pacotille, rien qu'une épouse languide sombrant sans retenue dans un mal de vivre improbable.
Bref, un personnage plutôt fallut pour un roman flamboyant, un sujet très banal pour oeuvre d'exception. Mais un grand livre ne fait pas forcement un grand film.
On connaît l'histoire de l'ardente Emma qui, a la poursuite de ses chimères, mourra de son impuissance au bonheur. Quoi de neuf sous le soleil ? Si on en meurt peut-être moins qu'autre- fois (on aurait plutôt tendance aujourd'hui a plaquer l'autre pour tenter l'aventure d'une nouvelle vie), cette sorte d'insatisfaction foncière (qu'en ce siècle des « psys » on a coutume de baptiser névrose) reste une constante de la nature humaine, comme un insidieux poison. Bref, le sujet, universel, n'a rien en soi d'original (Flaubert lui-même ne l'avait-il pas pioche dans la rubrique des faits divers?).
Le livre, pourtant, est incomparable. Par la seule magie de son écriture. Sans doute écrasé par elle, Chabrol a choisi l'adaptation fidèle (extrêmement) plutôt que l'interprétation libre. C'est probablement la grande vertu de son film. C'est, aussi, son grand défaut: le cinéma, ce ne sont pas les pages d'un livre qu'on tourne, surtout plus de deux heures durant! Une impression de lent et parfois pesant déroule, encore accentuée par le procède: comme on ne peut pas tout mettre dans un film, les transitions sont assurées par la voix de François Perier, si délicieusement lasse qu'elle aurait vite fait de nous entraîner dans un début de torpeur ...
Rien a redire sur la technique et les moyens mis en impeccable. Les décors sont superbes, et les costumes somptueux. Rien ne manque: « Les cinq cents bruits relèves dans le livre (carrioles, cris, rires, pas, chansons) sont tous dans le film », affirme Chabrol, fier de lui. Il peut.
Il peut surtout être fier de son actrice: Isabelle Huppert est sidérante. Belle comme jamais, toute de force contenue, et de lumière. A elle seule, elle donne au film sa grandeur, insufflant a cette neurasthénique d'Emma la flamme de cette passion qui semble la consumer. C'est l'alliance du feu et de la glace: ayant manque sa vie pour une certaine idée de l'amour, elle finira par mourir pour de l'argent. Triste épilogue ...Dans cette quête éperdue d'un soutien financier, courant les rues et ses amants. étourdie. affolée, Isabelle Huppert se montre vibrante d'une vérité prodigieuse. Le rôle de sa vie, sans doute. Probablement pas le film de savie. Helas.
Hélas, oui, car sur ce sujet qu'il portait en lui depuis vingt ans, sur ce personnage qui le hantait, on pouvait attendre beaucoup de Chabrol, ce cinéaste inspire capable du meilleur comme du pire. On pouvait surtout espérer mieux de celui qui, par le passe, a su nous offrir tant de peintures terribles, magistrales, de femmes rongées par le malheur. En réalité,Chabrol semble ici comme l'otage d'un texte qu'il est sans doute coupable de trop aimer. Résultat: il réalise un film appli- que, lent, presque scolaire par instants.
On sait que Flaubert, écrivant son chef- se plaignait: « Je m'ennuie. La Bovary m'as- somme... » Nous n'irons pas jus- que-la. Mais, en l'occurrence, elle ne nous emballe pas non plus ...
par RICHARD CANNAVO