Isabelle a tourné avec de très grands metteurs on scène. Elle sait donc être lisse et docile pour faire partie du tout, être au service, s'oublier, peut-être même se perdre. Jusqu'à la totale impudeur.

 

par Antoinette Boulat

Première N°169, avril 1991

 

La (Sé)Vérité sans Fards

Première N°169, avril 1991

 

Avec Madame Bovary: Huppert retour Claude Chabrol pour la troisième fos. Et un rôle majeur qui devrait la ramener à se vraie places : elle de d'une des plus grandes comédiennes françaises d'aujourd'hui. L'aboutissement d'une carrière vertigineuse de quarante-trois films. -

 

Isabelle Huppert est antipathique. Parce qu'elle ne cherche pas a être aimée a tout prix. Comme telle, ses choix d'actrice sont courageux, qu'ils concernent les réalisateurs ou les rôles. Dans son dernier film vu a ce jour, "La vengeance d'une femme", de Jacques Doillon, elle est ailée jusqu'au bout de son audace. En Cécile, femme pervertie par son désir obsessionnel de connaître la vérité, elle s'est laisse filmer comme on filmerait une pierre: sans aucun fard pour atténuer le front bute, le menton volontaire ou les pigmentations d'une peau contrariée par des flux de nervosité. « Il existe des acteurs, dont je pense faire partie, dont l'expression est plutôt du cote d'une aridité, d'une âpreté qu'il ne faut pas chercher a enjoliver... » Si Isabelle Huppert est déplaisante, elle est également totalement séduisante comme une femme- enfant diaphane et précieuse. Avec de grands yeux rayonnants. Avec, dans le regard, "une hardiesse candide" comme la créature de Flaubert, Emma Bovary. Elle était ainsi faite pour être la Bovary de Claude Chabrol. "Madame Bovary", le troisième film qu'ils ont tourne ensemble.

 

1976, c'est l'année de "La Dentellière", de Claude Goretta. Son rôle y est celui d'une apprentie coiffeuse silencieuse et réserve, qui va définitivement se refermer sur elle-même a cause d'un amour impossible. Isabelle Huppert a vingt et un ans, mais déjà une filmographie de quatorze films dont. "César et Rosalie", de Claude Sautet, "Les Valseuses", de Bertrand Blier, "Dupont Lajoie", d'Yves Boisset, et "Le juge et l'assassin", de Bertrand Tavernier. Sa performance dans "La Dentellière" est telle qu'elle va voiler les précédentes ainsi que les prochaines (quarante-trois au total). Régulièrement, grâce a la fidelit4 de Claude Chabrol, Isabelle Huppert retrouvera sa vraie place, celle d'une actrice pro au parcours tous azimuts et presque exemplaire. En lui permettant de décrocher un premier Prix d'interprétation féminine a Cannes en 1978 pour Violette Nozière", un deuxième à Venise en 1988 pour "Une affaire de femmes", le réalisateur donne ainsi les points de re- père majeurs de sa carrière. Pourtant, a sa manière, Claude Chabrol perpétue lui aussi le "mythe dentellière". Cette femme aux rêves trop grands pour elle, mystérieuse et fragile, il l'étoffe de perversité, de dureté et d'ambiguïté. Violette Nozière empoisonne ses parents pour l'amour d'un gigolo, elle sera condamnée a mort; la "faiseuse d'anges" d'"Une affaire de femmes" sera la dernière femme guillotinée en France pour atteinte a la morale. Quant à madame Bovary, elle est victime de ses illusions et de ses aspirations qui ne concordent pas avec sa situation de petite bourgeoise. Elle finira la bouche pleine d'arsenic.

 

  Rodolphe (C. Malavoy)

premier amant d'Emma....

 

Les héroïnes incarnées par Isabelle Huppert sont d'origine populaire ou litternaire. La comédienne transcende leurs destinées, elle les élevé « vers le mystique, le mythologique». Elle cerne « la vérité au plus près. La vérité d'un personnage et donc la vérité humaine qui comprend aussi bien des zones de lumière que des zones d'ombre ». C'est la marque de fabrique Huppert: rendre sympathiques des personnages antipathiques. Au sujet de l'héroïne peut-être la plus romanesque et la plus risquée a interpréter, madame Bovary, elle souligne: «Je ne voulais pas que se confondent l'idée toute faite qu'on a d'Emma et les cliches auxquels, en général, on me réduit. J'ai cherche a restituer au personnage sa vraie violence, sa perversité aussi et, surtout, ce que j'ai trouve dans le roman de Flaubert, son sens aigu de la dérision, trois vertus .sans lesquelles Emma ne serait qu'un légume, qu'une molle provinciale alanguie. Je me sens plus proche, d'une certaine manière, de Flaubert que d'Emma, du créateur que de son archétype».

 

A Ville-d'Avray, où se trouve la maison familiale des Huppert, on imagine un monsieur démesurément fier de ses quatre filles: Isabelle, la benjamine, Caroline, réalisatrice, Elisabeth, énarque et romancière, et Jacqueline, sociologue. Autant d'activités dignes d'un milieu bourgeois. Et, en accord avec cette image, Isabelle Huppert ne s'est pas improvisée comédienne: école dramatique de la rue Blanche puis Conservatoire national. Il n'y a ici aucune frivolité. « Mon envie existait avant même que je puisse i'exprimer. Avec une sorte d'instinct qui m'a fait entrevoir que c'était la mon élément. Exactement comme un poisson cherche Seau ... Il. y allait de ma survie. J'ai des doutes sur tout mais pas la-dessus.» Isabelle Huppert a toujours porte en elle le goût des tragédies. Toute son enfance, elle s'est projetée sur deux personnages de contes: la petite marchande d'allumettes et la petite sirène. Dans son imaginaire d'enfant, il y avait aussi la danse et le chant. Et, dans Sintériser, a ses moments perdus, elle chante. Elle est même soprano dramatique. En 1979, Isabelle Huppert tourne son vingtième film, "Loulou", de Maurice Pialat. Elle n'y est rien de moins qu'une petite bourgeoise qui tombe amoureuse d'un «loulou» de quartier. Tres loin de la retenue ou de la contemplation, elle est au contraire « vivante » et extravertie. Les meurs ont couru que, pendant le tournage, Pialat la filmait constamment nue dans les bras de Gérard Depardieu. Elle &ait terrifiée. Dans le film, il ne transparaît rien de sa nudité. Seulement des gros plans de son visage ou Pialat saisit l'amour physique. Et elle est étourdissante de vérité. Isabelle Huppert va continuer dans le «réputé, difficile»: elle enchaîne avec Jean-Luc Godard, "Sauve qui peut (la vie)". Godard, qu'elle retrouvera avec "Passion". Des rencontres forcement particulières et marquantes.

 

 

"J'entretenais avec Godard, Pialat, Cimino ("La porte du Paradis: tourne a la même époque), un rapport a la fois très enfantin et adulte. Je rentrais dans leur jeu et, en même temps, je les protégeais. Je les considère moins qu'a l'époque ou j'avais une fascination aveugle et culturelle. Pialat et Godard volent l'acteur tout en le sublimant, la réside l'ambiguïté. Je leur ai autant apporte qu'ils m'ont apporte. Les actrices et les acteurs détiennent une grande part de créativité, il ne faut pas hésiter a le déclarer".

 

 

  puis, c'est un clerc de notaire

(lucas Belvaux)

 

Chez elle, il y a toujours l'ambiguïté de la « manipulatrice-manipulée ». Isabelle Huppert a été sous la coupe de très grands metteurs en scène, des plus violents fantasmes. Elle sait donc être lisse et docile pour faire partie du tout, être au service, s'oublier, peut-être même se perdre. Jusqu'a la totale impudeur. « Un écran, c'est a la fois un paravent et une vitrine. On se cache derrière, mais on s'y montre aussi. J'ai toujours pense qu'en se cachant, on se trouvait soi-même. ». Isabelle Huppert ne s'est montrée nulle part ailleurs. A force d'exister « retranchée » et de jouer sur l'intériorité, on lui a souvent colle l'étiquette de l'antistar. Elle s'en défend vivement. « Je n'ai pas la sensation d'être Madame-Tout-le-Monde.» On a aussi tente de l'associer a l'autre Isabelle-Adjani-, avec laquelle elle a tourne "Les Sœurs Brontës", d'André Téchiné. Elles n'ont de comparable que leur age. «Si nous étions dans un hôpital psychiatrique, je serais chez les schizophrènes et elle chez les paranoïaques. » Isabelle Huppert a remis les pendules à l'heure.

 

Entre les deux Godard, il y a eu "La Dame aux Camélias", de Mauro Bolognini, pour une vingt-deuxième adaptation du roman d'Alexandre Dumas, la plus somptueuse. Isabelle Huppert varie ses plaisirs avec tout ce que le cinéma peut avoir de divers, de versatile. De 1980 a 1984, définitivement boulimique, elle tourne dix films, dont "Coup de torchon", de Bertrand Tavernier, "Eaux profondes", de Michel Deville, "La Truite", de Joseph Losey, "La Femme de Mon Pote", de Bertrand Blier, "La Garce", de Christine Pascal, "Signe Charlotte", de Caroline Huppert, "Sac de Noeuds", de Josiane Balasko. Jusque-la, sa séduction passait (schématiquement) par la mélancolie, les tourments, la douleur ou la maladie, comme si elle refusait celle de la féminité, de la sensualité; dans ces films-là, elle l'extériorise avec outrance jusqu'a la caricature: elle jure comme un charretier, se teint les cheveux en blond platine comme une Marilyn de HLM, porte un maquillage épais ou des mini jupes provocantes. C'est sa façon a elle d'être une femme fatale, une nymphomane, une maîtresse perverse ... C'est la phase aux accents comiques et frivoles ou elle dévoile ce qu'elle a de charnel.

 

 

"Pendant long- temps, je m'appuyais sur une démarche psychodramatique. De jeunes comédiennes se font connaître pour leurs qualités purement physiques, et elles aspirent ensuite a prouver leurs qualités d'actrices. J'ai parcouru le chemin inverse. J'ai certainement montre des Ie début que j'étais une vraie actrice dans le sens ou je pouvais exprimer des émotions et une intériorité. Par la suite, j'ai désire jouer avec mon physique."

 

 

Seulement, a force de tourner et de se chercher, Isabelle Huppert s'essouffle. Et le public aussi. Elle disparaît alors un temps, quatre ans. « Voulait-on me faire payer mes années Gaumont? Toujours est-il que j'ai fait du cinéma en Australie, aux Etats-Unis, en Yougoslavie et en Pologne. Je n'ai retrouve ma place ici qu'avec "Une affaire de femmes". Et c'est très bien comme ça.» Depuis, Isabelle Huppert recommence à plaise, a trouver de beaux rôles au cinéma ou au théâtre. Celui de "Madame Bovary", donc, qui être aussi pris comme une métaphore de son métier d'actrice devenir quelqu'un d'autre. « C'est la somme j de tous mes rôles. Emma est l'héroïne du désir par excellence, quelque part entre la dentellière de Pascal Laine et la Natalia Petrovic de Tourgueniev. Elle réussit a mettre la mélancolie et la langueur à la hauteur d'un bel art. »

 

Conclusion: les femmes antipathiques comme Isabelle Huppert sont admirables.

 

Une Héroïne Universelle

 

  Emma Bovary et le vicomte

(Thomas Chabrol)

 

Fille d'un paysan, Emma est une nature rêveuse qui s'exalte a la lecture des: romans. Elle épouse un officier de santé, Charles Bovary. Une invitation d'un marquis rompt la monotonie de leur existence. "Son était comme eux: au frottement de la richesse, il s'était place dessus quelque chose qui ne s'effacerait pas". Emma est enceinte, le couple part s'installer a Yonville- l'Abbaye, un bourg de Normandie sans vie. Le pharmacien Homais ne suffit pas a la distraire. Elle noue une idylle avec un jeune clerc de notaire, Léon Dupuis. Le départ de ce dernier pour Paris la laisse maladivement mélancolique. Elle est alors la proie du châtelain Rodolphe Boulanger, qui se: lassera vite de sa maîtresse trop passionnée. Déçue de ces amants médiocres, accablée de dettes, elle s'empoisonne.

 

A ceux qui l'interrogeaient sur son héroïne, Flaubert répondait: « Madame Bovary, c'est moi! » La formule est légendaire et le bovarysme est devenu un nom : commun. Flaubert a mis quatre ans a écrire cette histoire d'adultère. Ses inspirations étaient multiples, le fruit de faits reels ou imaginaires, d'une observation acharnée et méthodique. Il voulait acquérir « ce coup médical de la vie, cette vue du vrai qui est le seul moyen d'arriver à de grands effets d'émotion ». A la parution du roman, en 1857, Flaubert passera devant le tribunal correctionnel pour des passages juges « offensants pour la morale publique et religieuse ».

 

De nombreux auteurs ont écrit sur Emma Bovary, comme Baudelaire, Sartre, Vladimir Nabokov. Le cinéma se l'est, lui aussi, souvent appropriée: Albert John Ray, Jean Renoir, Gerhardt Lamprecht, Carlos Schlieper, Vincente Minelli, John Scott, Alexandre Sokurov. Pour Claude Chabrol, c'était une nécessite profonde, parce que «Madame Bovary» correspond a mon rêve d'art: ou fond et forme ont autant d'importance l'un que l'autre et s'exaltent réciproquement. Le roman contient dans un récit limite et date une sorte de condense de: toute l'histoire du monde. C'est une de ces i qu'il ne faut pas toucher, a moins: d'avoir la folie d'oser. A.B.

 

Vient de paraître aux éditions Hatier:"Autour d'Emma: collection Brèves Cinéma (ou, entre autres, Isabelle Huppert : s'exprime sur le personnage).

 

Théâtre: La Démesure

 

  Pleine d'aspirations romanesques, Emma se dégoûte de sa vie ennuyeuse en Normandie aux côtés de son mari, un officier de santé

 

Il y avait eu "On ne badine pas avec l'amour", de Musset, revu par sa soeur Caroline. C'est d''ailleurs avec elle qu'ha belle Huppert avait débute dans un café- théâtre pour une mise en scène de "Jack l'Eventreur. Il y avait eu "Pour qui sonne le glas", par Robert Hossein. Et puis un gr~d vide: onze ans d'absence. En 1989, Isabelle Huppert remonte sur les planches sous la direction de Bernard Murat. Elle est la Natalia Petrovna d'"Un mois a la campagne", de Tourgueniev, une «sorte de Bovary des steppes». Isabelle Huppert rêvait de travailler avec Peter Zadek Il lui offre une pièce de Shakespeare, "Mesure pour mesure" (jusqu'au 28 mars), le rôle d'une novice éprise d'absolu qui intervient auprès du pouvoir perverti pour sauver son frère. Si le metteur en scène allemand est un provocateur elle, dans cet habit de négation, n'a jamais été aussi pure. Elle explose de vertu mais aussi de violence et de rage. Minus cule et chétive sur cette grande scène du théâtre de l'odéon, elle est pourtant immense. Elle a la voix.