Le Monde, le 11 janvier 1990
Le personnage de Cécile dans La Vengeance d'Une Femme est le second grand rôle d'Isabelle Huppert (après Une affaire de femmes de Claude Chabrol) depuis sa rentrée en France à la suite d'une absence de quatre ans. Elle fut une faiseuse d'ange elle est une femme machiavélique et douloureuse. Pas vraiment l'étoffe dont on fait les héroïnes populaires mais la preuve sans cesse renouvelée d'un talent hors du commun.
Un petit peu oui. J'ai beaucoup parlé du scénario et du personnage avec Doillon et Goyet. On était assez soucieux de ne pas tomber dans une caricature des personnages en particulier du mien. Il fallait que le machiavélisme de Cécile soit un peu subtil. C'est vrai que le film est violent il s'appelle la Vengeance d'une femme. Mais il y a des attirances presque des élans de tendresse entre les personnages. Aussi il ne fallait pas trop en savoir dès le début. En plus il y a une dimension un peu ésotérique. Quand Cécile arrive on ne sait pas très bien pourquoi ni comment. C'était intéressant de maintenir ce mystère. Dans l'accomplissement de cette vengeance il y a de la part de Cécile des détours. Est-ce par machiavélisme ou parce qu'elle est entraînée par son plan vers des zones qu'elle-même ne soupçonnait pas ? C'est inéluctable et dans cet inéluctable il y a presque une part d'innocence.
Votre rôle dans La Vengeance d'Une Femme est presque celui d'un metteur en scène de quelqu'un qui modèle la vie des autres. Sur le tournage comment avez-vous travaillé avec Béatrice Dalle et Jean-Louis Murat?
J'ai beaucoup aimé la façon dont le film s'est déroulé. Contrairement à ce qu'on pourrait penser en le voyant il n'y a eu aucune situation de psychodrame. C'est grâce à l'intelligence de Doillon. Il y a eu simplement un travail très artisanal sur le texte : l'apprendre par cur le dire le répéter. C'était la première fois que j'abordais un texte de cette épaisseur au cinéma. Et Doillon a une manière très particulière de tourner avec de longs plans-séquences donc si c'était difficile pour les autres c'était difficile pour moi. Mais jamais de manipulations médiocres et mesquines. Une manipulation certainement mais à un plus haut niveau. Et c'est vrai que c'est une sorte de corrida il y a une mise à mort dans laquelle j'étais l'oeil du metteur en scène. Je n'étais jamais regardée c'est moi qui regardais. Une relation ambigu et très forte se développe entre Suzy et Cécile.
Et comment cela s'est-il passé entre les comédiennes?
Encore une fois je serais tentée de dire qu'il y avait une obsession du travail du texte. On s'est très bien entendues pendant le film mais nous étions très concentrées sur l' apprentissage du texte. Je crois que c'est ça qui a déterminé notre relation. Nous avons réagi chacune à notre façon : il y a peut-être eu plus de résistance de la part de Béatrice et plus de plaisir de ma part. Mais nos personnages le voulaient. Dans le jeu il y avait une vérité une intensité une grande évidence et par ailleurs une relation très simple entre nous très courtoise très gentille. Apparemment.
Vous souciez-vous de l'image d'Isabelle Huppert actrice ou uniquement de vos personnages? Une affaire de femmes et la Vengeance sont deux rôles quia priori ne forcent pas la sympathie.
Si ça suscite des réactions d'antipathie je trouve ça plutôt rigolo. De toute façon une image est la perception que les autres le public et les média sont de vous. Mais je peux avoir une perception de cette perception. J'ai l'impression d'abord qu'elle est assez floue et si elle s'est dessinée plus nettement à certains moments elle n'a jamais été très angélique.
Ces deux films viennent peut-être renforcer cette image. C'est vrai que celui-là pousse le bouchon un peu loin. Pour Une affaire de femmes il y avait un conditionnement social qui faisait que ce personnage était comme il était. Alors que celui-là est costaud. Mais quand même c'est un film. Ma mission est de faire croire que c'est vrai. Evidemment c'est peut-être tellement vrai qu'on croit que ça l'est. Mais ce n'est pas de ma faute si je l'ai joué comme ça.
Une actrice comme Bette Davis a joué beaucoup de méchantes sans garder la part d'inexplicable qu'il y a chez vous et qui peut-être déroute encore plus.
Nonce n'est pas moins expliqué. C'est même plus justifié j'exprime constamment des sentiments noirs qui sont les corollaires de sentiments blancs. Dans les films de l'époque de Bette Davis c'était noir ou blanc. Ca faisait moins peur parce qu'elle était repérable en tant que méchante alors que je suis moins identifiable.
A une époque vous récusiez la direction d'acteur les indications sur les motivations du personnage?
Oui mais c'était un peu naïf d'assimiler la direction d'acteur à des indications aussi primaires. A un moment j'ai peut-être pensé que c'était ça la direction d'acteur et je l'ai récusée. Cela devait reposer sur un manque de confiance en moi ou sur un orgueil imbécile de première de la classe. J'avais aussi l'impression que les metteurs en scène me prenaient un peu trop comme j'étais. Peut-être parce que je leur avais été présentée comme une personnalité assez dessinée et un peu compacte qu'ils n'essayaient pas de changer.
Pendant longtemps j'ai privilégié le non-dit entre le metteur en scène et l'actrice. Il y a des metteurs en scène avec qui ça marche encore. Claude Chabrol par exemple: il me dirige mais c'est une direction qui est presque invisible. Doillon m'a vraiment dirigée avec des mots d'une façon presque musicale presque comme un chef d'orchestre : des points d'orgue des silences des accélérations des montées vocales des descentes. Il me semble que les accents de la Vengeance d'une femme ont toujours été là. Si on avait pu les identifier et les faire sortir dans d'autres films ç'aurait été mieux.
Etes-vous allée chercher en dehors du textes des éléments pour construire votre personnage?
Pas du tout. Pour ce film-là justement je ne me suis jamais consciemment identifiée à ce personnage. J'ai tourné ça comme ça ne m'a pas du tout atteinte. Depuis un moment je ne tombe plus dans les pièges un peu grossiers de l'identification. Ca ne m'est jamais tellement arrivé mais enfin quand même il y a des rôles dans lesquels on tombe qu'on le veuille ou non.
Dans lesquels êtes-vous "tombée"?
La Dame aux Camélias les rôles qui touchent à la maladie... Mais avec ce dernier personnage pas une minute. Un peu comme pour Une affaire de femmes. Paradoxalement ce sont des rôles pour lesquels
Par THOMAS SOTINEL