1978 pourrait bien être une nouvelle « grande année » pour Isabelle Huppert. C'est bien parti, toujours! Depuis « La dentellière » et « Les Indiens sont encore loin », les deux films suisses qu'elle tourna fin 76-début 77 et qui, tous deux, furent présentés au dernier Festival de Cannes, lsabelle Huppert n'a tourné qu'un seul film: " Violette Nozière " de Claude Chabrol. L 'un des deux films français officiellement sélectionnés pour la compétition cannoise.

L'année dernière, jusqu'au bout, les trois-quarts des festivaliers auraient parié leur chemise que le Prix d'interprétation féminine lui serait attribué. Il alla à Shelley Duvall « Trois femmes ») et Monique Mercure « J.A. Martin photographe »). Ce n'était pas bien grave: sorti à Paris en plein mois de mai, le film est encore à l'affiche trois mois plus tard. C'est LA plus grosse surprise de la saison. lsabelle Huppert fait la « une » de tous les journaux , joue tranquillement « On ne badine pas avec l'amour » au théâtre, dans une mise en scène de sa soeur Caroline et laisse dire ceux qui voient en elle la grande favorite des Césars 77. Mais, en novembre, sort « La vie devant soi » et trois mois plus tard, Simone Signoret, d'une courte tête dit-on, empoche le César de la meilleure interprétation féminine... Il paraît que l'histoire ne se répète jamais. Espérons ! En tout cas, lsabelle Huppert est ravie. « Violette Nozière » à Cannes, c'est un atout de plus pour la carrière publique du film. Et c'est bien cela le plus important.

La nuit, en cachette de ses parents, Violette sort - (A g. : Greg Germain)...

Rien n'est plus terrible pour un comédien qui s'est complètement investi dans un film que de le voir boudé par le public. Et pour « Violette Nozière », comme pour "La dentellière", Isabelle Huppert a joué le jeu à fond. Trois mois après la fin du tournage, le personnage, dit-elle, ne l'a toujours pas abandonnée. Normal : ce personnage ambigu et fascinant n'est pas de ceux qu'on oublie facilement. Violette Nozière, on le sait, a existé. Accusée d'avoir tenté d'empoisonner son père et sa mère à dix-huit ans (mais seul son père en mourut) Violette Nozière fut même, en 1933, condamnée à mort. Grâciée par Albert Lebrun, puis 1ibérée par petain après douze années de prison, elle fut même, trois ans avant sa mort, trente ans après son crime," réhabilitée " par la Haute Cour de Justice de Paris.

Les enfants de Violette Nozière, craignant sûrement qu'on salisse la mémoire de leur mère, ont voulu faire saisir le film. Que l'on fasse un livre de: l'histoire de leur mère (sorti en 75 et dont est tiré le film), passe encore! Mais un film risquait d'avoir bien plus de retentissement. Pour tenter d'arranger; les choses, Claude Chabrol alla leur expliquer la nature de son entreprise. Et dès le film fini, le leur montra. Les descendants de Violette Nozière l'ont beaucoup aimé. Pas de problème :" « Violette Nozière » sortira bien le 30 mai, la veille de la cérémonie de cloture du Festival de Cannes.

Il est vrai que le sujet était délicat. Certes, comme toute la gauche française qui, à son procès, prit fait et cause pour la « parricide », Claude Chabrol a surtout vu, dans l'histoire exemplaire de Violette Nozière, le drame intime d'une jeune fille passionnée qui défit, comme l'écrivit à l'époque Paul Eluard, «l'affreux noeud de serpent des liens du sang ». Mais comment raconter l'histoire de Violette Nozière sans dire que cette adolescente sage et réservée sortait la nuit en cachette de ses parents pour fréquenter les bars du Quartier Latin où elle se prostituait parfois, qu'elle était atteinte de la syphillis et, évidemment, qu'elle empoisonna son père ? Tous faits, objectifs dont on comprend que les enfants de Violette Nozière aient pu craindre les pires utilisations... Avec Claude Chabrol, pas d'inquiétude à ce sujet.

Par contre, sur le plan cinématographique, certains nourrissaient les pires craintes. Depuis près de cinq ans, depuis « Nada », nous ne reconnaissions plus le Chabrol féroce et inspiré des « Cousins », du «Beau Serge », de « Que la bête meure » ou du « Boucher ». S'épuisant dans des films «alimentaires » qu'il tournait à une cadence effrénée, Chabrol semblait avoir perdu toute force, toute rigueur. 1978 devrait donc être, pour lui, l'année du « deuxième souffle ».

«Violette Nozière », qu'il rêvait, depuis plusieurs années, de mettre en scène, lui apporte en tout cas sa première selection cannoise. Incroyable mais vrai : en vingt ans de carrière et trente-cinq (!) films, l'un de nos metteurs en scène les plus populaires, l'un des seuls à jouir d'un véritable prestige, d'une réelle estime ; auprès de tous les cinéphiles étrangers, Chabrol, l'un des grands inspirateurs, avec Godard et Truffaut, de ce que l'on appela « la nouvelle vague » du cinéma francais, eh bien oui, Claude Chabrol n'avait jamais eu un film sélectionné pour la compétition cannoise.

Comment ne pas être ravi de cette présence ? voilà si longtemps que nous allions voir, inflexibles et prêts à tout, chaque film de Chabrol dans l'espoir de retrouver enfin le grand Chabrol d'antan qu'il serait vraiment stupide de ne pas se réjouir de cette aubaine. Elle arrive à point devant une telle avalanche de déceptions, on allait commencer à se lasser ! Isabelle Huppert n'a pas craint, elle, de tourner avec celui qu'à cinquante ans, certains disaient « fini ». Grace à lui, voilà donc une année qui commence on ne peut mieux. Et qui se continuera tout aussi bien. Dès le mois de juillet, les longues vacances qu'elle s'était accordée - le fantôme de Violette Nozière la suivant partout - seront finies. Elle commencera le tournage tant attendu du prochain film d' André Téchiné « Barocco ») en compagnie d'Isabelle Adjani et Marie-France Pisier : « Les soeurs Bronté ». Puis, en octobre, ce sera « Retour à la bien aimée » de Jean-François Adam avec Jacques Dutronc. Une énigme policière dans laquelle, pour la premiere fois, elle sera mariée et mère de famille. Elle tournera ensuite un film de Philippe Condroyer ( « La coupe à dix francs ») où elle redeviendra, aux côtés de Jean-Pierre Marielle, une adolescente très différente de toutes celles qu'elle a interprétées jusqu'alors. Autant dire que le nom d'Isabelle Huppert n'est pas prêt de quitter les enseignes de nos cinémas !

Celui de Jean Carmet, lui, ne les a guère quittées depuis deux ans. Et il n'est pas inintéressant de voir ce comédien attachant et sensible dans un rôle dramatique (il est le père « assassiné » ) au moment même où « Le Beaujolais nouveau est arrivé » nous le montre, poète épicurien, dans un emploi déjà sensiblement différent de tous ceux qu'il a pu tenir jusque-là. Son épouse de cinéma, c'est... Stéphane Audran. Elle fut de la plupart des grandes aventures « chabroliennes » et, dernièrement, de la plupart de ses échecs. Sa carrière, sa cote d'estime auprès du public ont d'ailleurs très exactement suivi celle de son metteur en scène de mari. Dans le rôle pathétique de la mère de Violette Nozière, on devrait la redécouvrir enfin. Tourné, aux dires d'Isabelle Huppert, dans une ambiance quasiment idyllique, « Violette Nozière » est décidement une aventure cinématographique tout à fait " heureuse ". Quelles que soient les décisions du jury du XXXIe Festival de Cannes... Marc Esposito

 

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