Dans un vieil immeuble parisien, une jeune fille de dix-huit ans se glisse à pas feutrés dans un placard à balais entre deux étages. A cause de son habillement - jupe et gilet bleu marine, chemisier et socquettes blanches - elle fait à peine son âge... Quelques instants plus tard, c'est une femme à la beauté provocante qui sort du minuscule réduit. Longue jupe noire fendue, talons hauts, bas noirs, lèvres rouges... C'est Violette Nozière.

Comme tous les soirs, elle est sortie en cachette de ses parents pour aller retrouver son amie Maddy dans un bar du Quartier Latin. C'est la que, cigarette aux lèvres, gin-fizz en main, elle attend la rencontre qui changera sa vie. C'est là qu'elle parlera la première fois à l'homme de ses rêves, un bel étudiant désargenté et volage, Jean Dabin. C'est là encore que, quelques jours plus tard, elle écrira d'une main volontairement tremblante l'ordonnance du médecin de famille recommandant à ses parents de mélanger à leur potage du soir les petits sachets de poudre qu'elle a elle-même préparés...

 

Son père en mourra. Sa mère se portera, dès sa sortie de l'hôpital, «partie civile » contre sa fille lors d'un procès qui passionna la France entière. Violette, elle, niera toujours avoir voulu la mort de sa mère qu'elle désirait simplement mettre dans l'impossibilité d'aider son mari. Cette histoire est authentique. Et, en 1933, Violette Nozière fut même condamnée à mort. Graciée par Albert Lebrun, c'est Pétain qui acceptera qu'elle sorte de prison après douze ans de « conduite exemplaire ».

 

Trente ans après son crime, trois ans avant sa mort, la Haute Cour de Justice de Paris prononcera - fait unique dans l'histoire de la justice française concernant un condamné à mort - sa réhabilitation... Claude Chabrol, dont le dernier film « Les liens de sang » vient justement de sortir, raconte cette affaire exemplaire dans un film que nous verrons au printemps prochain : « Violette Nozière ». Dans le rôle-titre: Isabelle Huppert. Pour elle, c'est évidemment un rôle passionnant.

- « On dit souvent des écrivains ou des metteurs en scène qu'ils font toujours le même livre, le même film. Moi, c'est un peu pareil: en fait, je joue toujours le même rôle.

 

II y a en effet une continuité évidente de « La dentellière » à« Violette Nozière ». L 'une se suicide, l'autre tue : c'est toujours le même rapport avec l'existence, l'expression d'une même révolte. Ce sont deux filles qui souffrent. Mais « Violette Nozière », c'est l'extériorisation d'une révolte que « La dentellière » gardait entièrement à l'intérieur d'elle-même... »

 

Malgré la gravité du sujet, Isabelle Huppert, sur le plateau, est étonnamment détendue.

 

- « Bien sur, c'est un rôle éprouvant psychologiquement dans la mesure où j'y mets beaucoup de moi-même, mais je l'ai tellement assimilé que, techniquement, je n'ai plus aucun problème pour l'interpréter ... « De toutes façons, quels que soient les rôles que j'ai joués, ou que j'aurai à jouer, j'y mets toujours un peu de moi.

Cependant, Violette reste un rôle de composition. J'ai des scènes de violence, d'hystérie... Ce n'est pas le même ton que pour « La dentellière ». Mais c'est un rôle si beau et si fort que je me demande maintenant ce que je vais pouvoir jouer. Quel rôle pourra m'emmener aussi loin ? »

 

Elle est tellement passionnée qu'elle en oublie presque, l'espace d'un instant, que, dans deux mois, elle va tourner sous la direction d' André Techiné l'histoire des « Soeurs Brontë » !

 

- « Ah oui ! II y a Techiné ! Un rôle formidable! Je crois que je vais encore bien m'amuser! »

Oui, vraiment, malgré le drame qu'elle vit depuis quelques semaines face à la caméra de Claude Chabrol, Isabelle Huppert est dans une forme éblouissante ! Claude Chabrol lui-même n'y est évidemment pas pour rien ! lIs étaient pourtant nombreux, ceux qui craignaient que cette rencontre inédite ne soit pas toujours idyllique. Lui, le bon vivant, que l'on disait brouillon. Elle, trop souvent assimilée aux rôles graves et silencieux qu'elle interprète à l'écran, que l'on disait méticuleuse, exigeante... Eh bien, non! Des qu'elle parle de Chabrol, son visage, immédiatement, s'éclaire d'un large sourire :

 

- « Oh, tout se passe vraiment très, très bien. Je suis emballée. Absolument ! J'ai découvert un homme très sympa, très drôle... Très intelligent aussi. J'ai rarement été aussi à l'aise pendant un tournage. Oui, pour moi, c'est une grande rencontre ! II faut dire également que nous avons beaucoup parlé du personnage. Et nous nous sommes trouvés la même passion pour ce sujet, pour Violette Nozière... C'est important ! »

II est vrai que ce scénario, qui n'est pourtant même pas signé Claude Chabrol, semble avoir été écrit exprès pour le réalisateur de « Que la bête meure »,«La rupture »,«Le boucher » ou « Les noces rouges ». Après une longue série de films décevants, Chabrol devrait nous donner ici une oeuvre dans la lignée de celles qui avaient fait de lui notre metteur en scène le plus lucide, le plus féroce aussi, lui qui s'était attaché à décrire avec une rage froide et passionnée les tares et les vices de « la bourgeoisie ». Car, c'est bien cela, finalement, le sujet de « Violette Nozière ». II suffit de voir la violence avec laquelle les passions s'étaient déchaînées autour de cette affaire, voilà près d'un demi-siècle !

 

- « Toute la France a été coupée en deux, explique lsabelle Huppert. II y avait ceux qui voyaient en elle une infame criminelle qui avait voulu tuer ses parents pour les voler et s'enfuir ensuite mener la grande vie avec son amant... Et ceux qui croyaient Violette, quand elle affirmait que son père, depuis des années, voulait avoir des rapports incestueux avec elle et qui considéraient son acte démesuré et irrationnel comme l'expression d'un tempérament passionné qui ne supportait plus son milieu, ses bassesses, son étroitesse d'esprit... » Lors de son procès, on distribua des tracts. L 'un d'eux, signé Paul Eluard, disait : « Elle a défait l'affreux noeud de serpent des liens du sang »...

 

Marc Esposito

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