Une somanbule au bord d'un toit
France Soir, le 22 mai 1978
Lorsque Violette Nozière réussi à convaincre ses parents de boire un prétendu médicament &endash; qui est en réalité un poison mortel &endash; Isabelle Huppert a, vers Jean Carmet, un regard insoutenable. Il y a à la fois de la haine, du mépris, et aussi la froide résolution d'en finir avec une vie faite de mesquineries, d'hypocrisies, de gestes suspects et de laideurs.
Ce regard d'Isabelle Huppert est d'autant plus impressionnant qu'on y lit d'avance qu'il n'y a pas de place dans son cur pour le remords. Il fallait cet acte pour que Violette Nozière redevienne elle-même et éprouve, à nouveau, d'autres sentiments. Il fallait cette délivrance, achetée à quel prix! Tout cela, Isabelle Huppert le fait admirablement sentir, par son attitude en prison ou pendant le jugement, comme elle fait comprendre auparavant sa soif d'évasion et d'amour.
Mettre tout de suite en évidence Isabelle Huppert n'est pas façon de privilégier la vedette au détriment de l'uvre. Au contraire. Ce film &endash; complètement maîtrisé par Claude Chabrol &endash; est en effet d'une homogénéité parfaite.
Il faut croire que les grands procès l'inspirent puisque, il y a quinze ans, « Landru » lui avait déjà fort bien réussi.
En étudiant la vie de Violette Nozière, en examinant les causes et les circonstances de son crime, en revivant son procès, Claude Chabrol a sans doute découvert un être qu'il ne soupçonnait pas. Cela lui permet d'écrire aujourd'hui « Je suis tombé amoureux de Violette Nozière ». Mais cela veut surtout dire que, s'il a de la sympathie pour cette meurtrière - victime, c'est parce qu'il a apprise à haïe le milieu dans lequel elle vivait.
C'est évident quand il montre Violette coincée entre une mère qui la surveille avec un certaine jalousie et un père &endash; qui n'est pas le vrai &endash; beaucoup trop caressant pour être honnête. L'appartement est minable, ses occupants le sont aussi. Pour se faire pardonner ses absences &endash; toujours motivées ou cachées &endash; Violette joue à la belote avec ses parents. Corvée parmi tant d'autres auxquelles elle échappe en pensée en rêvant d'un amour idéal et d'une merveilleuse fugue à deux aux Sables-d'Olonne. Pour retenir son amant, elle vole de l'argent à ses parents, ou elle fait chanter son vrai père.
Par un montage extrêmement halle où les événements s'entrechoquent, Claude Chabrol met tout en évidence avec une réelle virtuosité. On peut dire que son film fait, à son tour, le procès d'une société dont Violette Nozière est le produit fatal.
« Il ne s'agit plus de juger, mais de comprendre », dit encore Chabrol. La formule n'est pas nouvelle, mais elle a ici sa pleine valeur. Violette n'est pas innocente, mais les vrais coupables sont les autres
Trois acteurs ont la charge principale de ce film qui nous fait retrouver le rai Chabrol et qui donne une chance sérieuse au cinéma français dans la compétition cannoise. D'abord Stéphane Audran dans le rôle complexe d'une mère inquiète et jalouse, que sa fille aimait sans être aussi bien payée de retour. Elle sait donner du relief à ce personnage fatal, assez mal défini. Le faux père, c'est Jean Carmet ; il en fait un grand rôle, sachant montre la mesquinerie, la tendresse équivoque, l'hypocrisie de ce bonhomme plus soucieux de sa médiocre tranquillité que du bien-être des deux femmes avec qui il vit.
Violette Nozière, enfin, c'est Isabelle Huppert complètement sortie de ses rôles passifs à «La Dentellière». Pour ceux qui se rappellent l'extraordinaire scène des « Valseuses », où soudain elle observait ses parents avec violence, ce rôle ne sera pas une surprise complète.
Mais, depuis le film de Bertrand Blier, Isabelle Huppert a beaucoup appris sans rien perdre de sa spontanéité. Il lui a fallu trouver en elle des élans et des révoltes qui sont devenus ceux de Violette Nozière. Elle y est parvenue en grande comédienne et ce film est un jalon d'importance dans l'ascension d'une des jeunes comédiennes les plus prometteuses du cinéma français.