Isabelle Huppert: "Violette m'a fascinée"

France Soir, le 19 mai 1978

L'air de rein sous ses taches de rousseur, avec son visage qui ressemble à des milliers d'autres, sans signe particulier pour la détacher des bataillons de filles sortant à 18h du métro.

 

Pourtant, Isabelle Huppert fait partie des jeunes comédiennes françaises qui comptent. Son film, « Violette », de Chabrol est présenté ce samedi à Cannes avant de sortir le 24 dans toute la France.

 

Avec une intensité troublante , "la petite Huppert" s'est transformée en Violette Nozière, la parricide qui suscita un scandale en 1934, fut condamnée à mort, graciée, et finalement réhabilitée des années plus tard. Pour cette héroïne hors du commun, il faillait une actrice du commun. Huppert l'est incontestablement sous son apparence anonyme.

Violette et sa mère (Stéphane Audran)dans "Violette Nozière"

"Violette m'a fascinée tout de suite. Comme tous les êtres humains, elle est à la fois agresseur et victime."

 

 

Isabelle Huppert définit avec des mots clairs, simples et plus profonds qu'ils n'en ont l'air son métier de comédienne.

 

 

"Un rôle, c'est un habit qu'on revêt. Mais à l'intérieur de l'habit c'est notre corps à nous, nos réactions. » Elle sourit sous ses cils clairs. « C'est commode. On peut faire passer nos propres émotions sous le couvert d'un autre que nous. Quelquefois je me fais mieux comprendre de mes proches à travers mes rôles."

 

 

Un grand vide

 

Drôle de petite Huppert, qui n'aime pas parler d'elle, de sa vie, de ses constants déménagements mais qui adore parler des personnages lui permettant de livrer à nu sa petite âme frileuse.

 

 

"En Violette j'ai mis une partie de moi. Moi aussi j'ai des instincts d'agressivité, des révoltes. Après le tournage j'ai senti comme un grand vide. C'est très étrange. Quand je joue, je suis comme dans un aquarium, coupée de tout le rester. Brusquement, le film terminé, je me sens abandonnée, j'aimerais arriver un jour à dominer mes sentiments, à jouer avec autant d'intensité tout en me préservant. Car après tout dans la vie il n'y a pas que le cinéma."

 

 

En prononçant cette phrase, celle qui fut l'an dernier « La Dentellière », essaie de se protéger, de mettre une barrière entré elle et le grand écran blanc où elle souffre en gros plan. Pleine de bonne volonté dans sa poursuite de la réalité, elle tente d'apprendre à ne rien faire. « C'est bon de ne rien faire, de flânte, de regarder tout autour, mais c'est difficile. »

 

Difficile de ne pas repenser à Nozière alors qu'elle vient d'être Violette. Difficile d'assumer sa propre existence alors que si jeune (elle a vingt-deux ans), elle a vécu, par rôle interposés, tant d'expériences.

 

 

"Je ne sais pas pourquoi on me propose ce genre de personnage. Peut-être parce que quelque part en moi il y a quelque chose comme ça."

 

 

Isabelle adore dire « quelque part». «Quelque part, je suis très proche de Violette. Quelque part, je me retrouve dans mes rôles. »

 

Mais c'est en riant (et sans dire quelque part), qu'Isabelle précise : «Dans 'Violette' je me suis bien vengée de Jean Carmet. Dans 'Dupont-La-joie' il me violait, là je le tue. »

 

Les prochains rôles de cette petite fille seront moins violemment émotionnels. Dans « Les Sœurs Brontë » qu'André Téchiné commence à tourner en août, elle est Anne, la plus timide, la plus solitaire des trois sœurs. En octobre, ce sera «Retour à la bien-aimée» de Jean-François Adam, elle sera la femme aimée de Jacques Dutronc.

 

Par Monique Pantel