L'affaire des poisons

Le Point, mai 1978

 

« Violette Nozière » de Claude Chabrol

 

Claude Chabrol, de quels enfers resurgit-il, lui qui, tout au long d'une carrière en dents de scie, n'eut jamais les honneurs de la sélection cannoise, et que voilà sur la Croisette au moment où il semblait englouti par la médiocrité. Oublions ses derniers films puisque «Violette Nozière» nous propose une double réhabilitation: celle de l'empoisonneuse des années trente qui donne son titre au film, et celle de son metteur en scène.

 

Nozière, c'est un crime, une affaire, un légende. En 1933, un jeune femme de 18 ans empoisonne son père et sa mère. Le père meurt. La mère survit et accuse sa fille. L'opinion publique se déchaîne. Les polémiques installent dans le dossier quelques mystères artificiels. Les surréalistes font de Violette une héroïne. Le jeune femme est condamnée à mort. Alors commence la deuxième vie de Violette Nozière, prisonnière modèle et repentie qui, de grâce en remise de peine, se retrouvera vivante, libre, réhabilitée.

 

Le film ne s'intéresse qu'au crime, à ce qui précède et à ce qui suit. Plutôt qu'aux aspects judiciaires de l'affaire ou à ses répercussions mythologiques (brièvement évoquées avec une rare maladresses), Chabrol braque sa caméra sur un personnage, et essaie de comprendre comment un être humain peut perpétrer un cime si horrible.

 

Là mon plus, comme dans le films de Louis Malle, et bien que le sujet s'y prête, on ne trouve ni plaidoirie ni réquisitoire, mais un constat attentif, vigilant. Si Violette a tué, quel enchaînement de faits, de mensonges, de honte, de haine a déclenché le processus fatal? Claude Chabrol se pose la question, et y répond honnêtement. Il fait revivre le climat étouffant et mesquin du foyer familial, la tendresse sans autorité ni clairvoyance de parents épatés par leur fille qui trouve dans les bistrots du quartier Latin un liberté, une allégresse qui lui rendent insupportable la médiocrité familiale.

 

Chabrol ne cherche pas des excuses: il trouve des explications. Ne se détournant jamais de son subjet, il nous fait pénétrer peu à peu l'impensable.

 

Sa réussite doit beaucoup à son interprète. Il y a un an, Isabelle Huppert nous avait bouleversés avec sa «Dentellière» : murée sur son drame, elle donnait vie aux mystérieux frémissements de l'âme. La performance est tout aussi exceptionnelle avec « Violette Nozière » : être sublime en incarnant des êtes médiocres, c'est le plus difficile. Enfantine et perverse, innocente et trouble, mythomane intermittente, appliquée à ses petites roublardises, et rêvant de frustes paradis, Violette-Isabelle nous communique un étrange malaise. Plus on s'interroge sur la criminelle, plus on admire la comédienne.

 

par P.B.