Jours de France

N°1763, le 15-21 Oct. 1988

   

 

Je me sens bien, dit Isabelle Huppert/ K'ai de nouveau envie de faire du theatre. Il y a onze ans, j'ai joue Musset aux Bouffes du Nord: "On ne badine pas avec l'amour". Des le 15 janvier au theatre Edouard-VII, j'interpreterai Tourgueniev, "Un mois a la compagne", histoire de retrouver ce grand trac, de prendre une bonne decharge d'angoisse."

 

 

 

Isabelle Gagne

Jours de France N°1763, le 15-21 Oct. 1988

 

« Un grand metteur en scène, un grand film, un grand rôle, c'est une rencontre rare », dit Isabelle Huppert. Avec « Une Affaire de Femmes », de Claude Chabrol, elle renoue enfin avec le succès. Un bonheur qu'elle n'avait plus retrouvé depuis plusieurs années.

 

Elle a cette allure fragile, cet air de défi qui fascine tant les metteurs en scène. « Cette petite-là ne s'en sortira jamais », pense-t-on. Sa double apparence permet à Isabelle Huppert d'interpréter tous les personnages qui exigent une dimension à la fois quotidienne et héroïque. Comme Marie, l'héroïne, qui dans les sombres années 1942-43 se transforme en faiseuse d'anges pour aider quelques femmes en difficulté. « L'avortement n'est pas une partie de plaisir », dit Isabelle Huppert. D'emblée, pourtant, le public a eu envie de découvrir ce nouveau film. Dès la première semaine de sa sortie sur les écrans, Une affaire de femmes, réalisé par Claude Chabrol, a battu les records d'entrées de son grand rival américain Piège de cristal.

 

« Les spectateurs ne voient que ce qu'ils ont envie de voir. Et c'est bien ainsi, dit-elle. Ça fait chaud au cœur de retrouver dans la fièvre. Durant le tournage, au printemps dernier, Claude Chabrol me disait : « Tu la veux, cette Coupe Volpi ? En bien, tu l'auras. » En fait, cela signifiait : « Ce film, tu peux en faire ce que tu veux. A toi de jouer. » Avec Chabrol, c'est inouï. On ne se dit presque rien. Et pourtant… »

 

Ce « Et pourtant », ce fut effectivement la Coupe Volpi, le mois dernier, à Venise. L'équivalent du Prix d'Interprétation du Festival de Cannes. Un prix qu'elle a déjà décroché avec la Violette Nozière de ce « grand malin » de Chabrol, voilà dix ans exactement.

 

Le « duo » Chabrol-Huppert fonctionne effectivement à l'amusement. « J'adore son regard ironique, au-dessus de tout, confie Isabelle. Et aussi sa grande générosité. La recette de notre entente : un très grand respect mutuel. Avec lui, je me sens totalement libre. C'est exceptionnel de se savoir à ce point perçue par quelqu'un. » D'autant plus que cette complicité ne s'appuie sur aucune intimité. Juste une vie quasi commune le temps de deux tournages, le temps de ces deux films événements: Violette Nozière e t cette Une Affaire de Femmes déjà partie vers le succès.

 

« Claude ne me demande jamais rien de précis. Il est bien trop malin pour ça. On ne se dit jamais un mot à propos du film durant le tournage. On se fait des surprises. » Il ne faut surtout pas donner d'ordres à Isabelle Huppert. Ne pas essayer de la diriger. Tout juste lui suggérer « la route à prendre », « Lest flèches à suivre », « Un œil comme celui de Chabrol, la suprématie de ce regard me suffisent, dit-elle. J'essaie d'entrer dans son univers. Il m'a crée un rôle sur mesure. De la haute couture. »

 

De toute manière, même quand un rôle n'est pas créé pour elle, Isabelle Huppert a une manière bien à elle de se l'approprier, de le retailler à sa dimension. Ne s'en accommode pas qui veut. Comme toutes ces grandes actrices qui ont une sensibilité à fleur de peau (cette peau pailletée de roux qui l'agaçait tant lorsqu'elle était adolescente), Isabelle Huppert a bien compris, voilà quatre ans, qu'on lui faisait payer l'insolence de sa chance et de son talent « Trop de grands rôles, trop de grands succès, trop vite, ça se paie un jour. » Ce n'était pas vraiment un boycott. Plutôt une lassitude. « J'ai senti que l'on n'avait plus envie de moi, explique-t-elle. Et contre ça, il n'y a rien à faire. Je ne renie aucun des films que j'ai tournés ces cinq années passées, mais ils ne constituaient plus des événements cinématographiques. » Pour Isabelle, c'est un « mal » presque heureux : « On ne peut pas être sous le choc sans arrêt, ce serait vraiment insupportable. »

 

Bizarrement, ses deux derniers grands succès portaient des titres punch: Coup de torchon, de Bertrand Tavernier et Coup de foudre, de Diane Kurys. Peu import, Isabelle Huppert va promener sa blondeur vénitienne ailleurs, sous d'autres cieux, en Australie, aux Etats-Unis, en Yougoslavie, en Pologne, en Italie, où les cinéastes ont encore le cœur qui fait boum à i'idée de la faire tourner.

 

« Brusquement, je n'ai plus supporté le regard que mon propre pays portait sur moi, confie-t-elle. A l'étranger, je me suis sentie plus libre. Professionnellement et sur le plan privé également. Aucun cliché ne se rattachait à moi. On ne m'identifiait pas à telle ou telle actualité. J'ai vécu tout cela avec un certain détachement. Mais je dois avouer que j'apprécie de revenir ici, portée par Une affaire de femmes qui semble toucher le public comme il m'a touchée. »

 

Loin de se lamenter, Isabelle Huppert a su transposer en positif ce qui aurait pu ressembler à un négatif, avec ce goût amer que vous laisse parfois le désamour. Un temps de pose, une profonde respiration, le temps de faire deux enfants, Lolita, cinq ans, et Lorenzo, quelques mois seulement. « Mes enfants sont le plus souvent avec moi. Ils m'accompagnent dans mes voyages. Ce n'est pas plus difficile pour moi que pour toutes les femmes qui travaillent. Juste une question d'organisation. Les enfants ne doivent pas être un problème. Je ne veux pas faire un choix entre eux et mon métier de comédienne. Je ne veux renoncer à rien. »

 

Isabelle resplendit de bonheur. Chabrol, le premier, a brûlé d'envie de la retrouver, de lui redonner cette soif de s'éclater dans un rôle, cette lumière, cette virtuosité qui sait renaître pour qui ose l'aimer.

 

Par Christine Gauthey