Je n'obéis qu'à ma sœur

Paris Match °1865, le 22 Fev. 1985

   

 

Caroline Huppert dirige sa sœur Isabelle dans un film fait sur mesures « Signé Charlotte ». Caroline a aussi écrit les paroles de la chanson du film qu'interprète Isabelle.

 

Photo: Richard Jeannelle

 

 

L'une me reçoit dans son appartement, nu, blanc et lumineux, où la seule note vive est donnée par des plants vertes et une collection de petits éléphants à la trompe levée. Le rendez-vous avec l'autre sera dans un bar. «Jamais chez moi», me dira-t-elle. Une nuance, déjà, entre les deux sœurs. Isabelle veut faire de sa vie privée un domaine complètement réservé, Caroline admet les visiteurs dans son campement. Mais, chez toutes les deux, je sens la même volonté de mettre l'œuvre à part de la vie, de la préférer à la vie. D'être d'authentiques créatrices.

 

Et les voici, pour la première fois, réunies dans un même film, l'une devant et l'autre derrière la caméra. Une sœur qui dirige l'autre: n'est-ce pas une première absolue au cinéma? «Dans notre enfance, c'est déjà Caroline qui mettait en scène nos jeux.» Obtiendrai-je des confidences? Peu, car en véritables créatrices, elles regardent plutôt l'avenir que le passé. Pas d'attendrissement sur l'enfance. Ni sur leur famille, pourtant peu ordinaire. Quatre sœurs, elles-mêmes arrière-petites-filles des quatre (aussi!) sœurs Callot, coutrières spécialistes en dentelles, et citées deux fois par Marcel Proust. Caroline avoue sa nostalgie des années 1900: mais afin d'être plus consciente de la force qui lui est nécessaire pour s'en débarrasser. Pour Isabelle, elle a écrit une histoire très actuelle, très moderne. Isabelle, à son tour, semble très heureuse de sortir un fois pour toutes de la phases passéiste et doloriste à laquelle elle doit pourtant ses plus grands succès: Violette Nozière, La Dentellière, La Dame aux Camélias… La voici chanteuse de rock, et métamorphosée, même physiquement, avec ses cheveux blonds courts. «Cette fois-ci j'ai participé au film», répète-t-elle, comme soulagée de n'être plus seulement l'actrice-objet, manipulée par le metteur en scène. Deux autres femmes, avant sa sœur, l'ont dirigée: Diane Kurys (Coup de Foudre) et Christine Pascal (La Garce).

 

La «libération» d'Isabelle est-elle due à cette circonstance? Réponse hésitante: pas de profession de foi féministe à attendre d'elle, assurément. «Un homme ou une femme, c'est la même chose», affirme-t-elle. Au fond, ce qui l'intéresse, c'est de dégager sa propre personnalité. Les autres l'y aident, mais le chemin, c'est elle et elle seule qui peut le faire. Chacun de ses personnages n'a été qu'une facette d'elle-même, c'est pourquoi elle en a changé si souvent. Mais elle reconnaît que grâce à sa sœur elle a peut-être réussi à serrer de plus près sa véritable nature.

 

Complicité fraternelle? Oui or non. Caroline est une aventurière, prête à partir pour le bout du monde. Isabelle cite avec émotion les paroles du vieux Jean Rostand, le célèbre académicien biologiste, qui, interrogé sur ses voyages, répondit qu'il n'avait pas bougé depuis quinze ans de sa villa de Ville-d'Avray, dont le petit jardin contenait pour lui le monde.

 

Quel rapport avec le rock? Il est beau de penser qu'entre une jeune, sensuelle et intelligente actrice (dont les auteurs préférés sont Jean Rhys, Faulkner et Henry James, excusez du peu) et des écrivains réputés difficiles se sont tissés des liens mystérieux avec la littérature qui donnent ses lettres de noblesse au cinéma. L'ambition de Caroline, d'ailleurs, a été, dans Signé Charlotte, de dire, des choses graves avec légèreté. Ce même film, Isabelle le compare à une sonate de Mozart. Le talent qui ne veut pas peser, le brio qui cache de la mélancolie, et toujours l'inquiétude et le désir d'aller plus loin, décidément, il n'y a pas à craindre que ce qu'on appelle «L'esprit de famille», c'est-à-dire ce rien de paresse mentale et d'indulgence mutuelle provoqué par la tendresse inconditionnelle, ait affaibli l'énergie des deux sœurs, leur volonté de se dépasser grâce à l'œuvre.

 

Par Dominique Fernandez

Photo: Richard Jeannelle

Caroline Huppert (habillée par Diamant Noir) dirige sa sœur Isabelle (habillée par Thierry Mugler) dans un film fait sur mesures Signé Charlotte. Caroline a aussi écrit les paroles de la chanson du film qu'interprète Isabelle.