Première 94 N°94, janvier 1985
TOURNAGE Le première film mis en scène par Josiane Balasko
Cela devait arriver Après ses copains, Gérard Jugnot (« Pinot simple filc ») et Michel Blanc (« Marche à l'ombre »), Josiane Balasko passe à la réalisation. Déjà actrice est scénariste (« Les hommes préfèrent les grosses »), elle a choisi d'écrire, de filmer une comédie acide et aussi d'en jouer le rôle principal avec Isabelle Huppert.
Il y en a une qui cicatrise très vite de tous les coups durs de la vie- c'est le personnage joué par Isabelle Hupeprt &endash; et l'autre pas &endash; c'est celui de Josiane Balasko. Une qui tire parti de toutes les situations et l'autre qui a tout perdu et n'a plus rien à foutre de rien. La première est un personnage haut en couleur &endash; elle est blonde platine et porte du rose fluo et de l'orange vif. La deuxième vit comme un clochard dans un appartement délabré. L'une est toujours de bonne humeur, l'autre toujours énervée. « Mais arrêtez de me poursuivre, dit Balasko, je ne vais nulle part ! ». répond Huppert qui s'accroche à ses basques. Il faut dire qu'elle vient de tuer son mari qui la battait, empêchant du même coup Balasko de se suicider au gaz
Huppert-Balasko, c'est un couple de comédie inattendu. Et ce sont les héroïnes du premier film que met en scène Balasko, laquelle, à l'instar de ses camarades Jugnot et Blanc, a donc fini par sauter le pas en venant derrière la caméra. « Je m'étais toujours dit que vers la quarantaine, je ferais de la mise en scène, raconte-t-elle. Voilà, c'est arrivé avant ! Parce qu'il se trouve que les gens qui auraient pu réaliser ce film au sujet quand même assez particulier &endash; je l'ai appelé « Sac de nuds » parce que je ne savais pas comment le résumer &endash; étaient eux-même des auteurs, donc pas intéressés pas »
Seule solution à cet était de fait : «Devenir calife à la place du calife!» Et elle assume. « Cette histoire, repend-elle, j'ai commencé à l'écrire il y a deux ans environ, avant « Signes extérieurs de richesse ». J'avais d'abord eu envie d'écrire un film avec deux gonzesses comme personnages principaux. » Déjà Isabelle Huppert ? « J'écris toujours en fonction des gens que j'ai envie de voir dans les personnages. Pour le rôle de Rose-Marie, la seule que j'ai pu voir, c'est Isabelle Huppert. Et je suis heureuse de pouvoir prouver aujourd'hui qu'elle est aussi une comédienne comique ». « Ça faisait longtemps que j'avais envie de faire ça, intervient Isabelle Huppert enchantée et qui s'entend avec Balasko comme larrons en foire, mais j'avais l'impression qu'avant Josiane, personne n'osait m'imaginer dans un personnage de pure fantaisie qui s'exprime beaucoup avec son corps. Je savais que ces choses existaient potentiellement en moi, je l'avais déjà montré dans certains personnages, mais ça s'inscrivait dans des films qui l'avaient peut-être un peu noyé Jouer un rôle comme ça, c'est très « libératoire ». J'ai souvent entendu des acteurs comiques dire que c'est beaucoup plus difficile de faire rire que de faire pleurer. Moi, je dirais que c'est plus soulageant parce qu'on met quand même en jeu des choses qui vous détruisent moins. »
Troisième complice: Farid Chopel qui n'a, dans le film, ni les mêmes buts, ni les mêmes goûts, ni le même univers que les autres. « On dirait « Le voleur de bicyclette », précise Balasko. Il est habillé d'un costume gris 1950 top grand et porte une casquette. » C'est un évadé involontaire &endash; il est attaché par le poignet à un fou furieux qui s'évade &endash; un type marqué par le destin. « Aucun personnage n'a de chance, souligne Balasko. Mais surtout pas lui. Quand il monte dans un taxi pour retourner à la Santé parce qu'il lui reste quinze jours à tirer, il tombe dans celui qu'on a volé. Et comme on fuit les flics, on fera tout sauf le ramener » d'où les aventures que partagera le trio et qui les fera aussi croiser Jean Carmet en pharmacien et Dominique Lavanant en infirmière, venus tous les deux faire une participation amicale.
Le décor du jour : une aire de stationnement sur l'autoroute du Sud. Et une voiture qui vient s'arrêter avec deux vélos sur le toit et une caravane à l'arrière. Au volant, Isabelle Huppert ; à côté d'elle, Balasko qui porte un imperméable dégueulasse, un vieux pull troué et des chaussettes qui tombent. L'idée, c'est qu'elles ont volé cette voiture sans bien se rendre compte qu'elle tractait une caravane avec ses occupants. Dont il faut maintenant se débarrasser.
Isabelle Huppert, calme, se refait un brin de maquillage dans le rétroviseur, tandis qu'après un court moment d'attente, le propriétaire sort de son « uf en pyjama et armé d'une poêle à frire. Difficilement contenu par sa femme en robe de chambre, l'inconnu s'escrime contre la voiture fermée de l'intérieur sous l'il désabusé du fils, son bol de chocolat dans une main, sa tartine beurrée dans l'autre Sur le plateau, Balasko se promène. Ne se mêlant que de loin à la technique. « C'est parce que je n'y connais rien et je n'en éprouve ni honte ni frustration. Ça me permettrait peut-être de préciser plus facilement ce que je veux, mais à partir du moment où je travaille avec des gens qui ont la même vision que moi du film, il n'y a aucun problème. » Et le fait de se trouver des deux côtes de la caméra ? « C'est un avantage, parce que c'est en vivant les personnages qu'on trouve des choses et qu'on peut modifier en fonction de ce qu'on sent. »
Par Dominique Maillet
Photos Luc Roux