L'art de la fresque

Le figaro, le 11 mars, 1981

 

Mauro Bolognini nous propose le vingt-troisième film consacré depuis le début du siècle à la Dame aux camélias. Sans doute parce qu'il a constaté qu Luchino Visconti n'en avait tourné aucun et qu'il restait une fastueuse variation à réaliser à partir d'un thème d'amours historiques sur une époque où le luxe le plus effervescent enveloppait de velours sombres meubles d'ébène, candélabres d'argent, vaisselle d'or, rivières de diamant et visages d'ingénues plus ou moins perverses.

 

Si bien qu'il me faut avant toutes choses citer le nom du décorateur Mario Garbuglia parce qu'il a reconstitué un univers où il semblerait naturel que d'Annunzio fasse tournoyer ses capes de moire et que Robert de Montesquiou effeuille ses hortensias bleus.

 

Tel est le cadre de la chronique qui relate la vie d'Alphonsine Plessis alias comtesse Marie de Perregaux et Marguerite Gautier en littérature mais surtout grande courtisane devant l'éternel. Courtisane par vocation et par une succession de coups de cœur.

Le personnage est complexe et Bolognini ne nous cache aucune de ses facettes en nous la montrant diverse à chacune de ses aventures ; avec un côté grande dame assez mal organisée dans ses affaires parce que la phtisie la pressait de dévorer la vie sans s'arrêter aux sentiments qui pourtant la rongeaient. D'où l'irrésistible sympathie que suscite cette héroïne dont le charme combat le réalisme ; d'où la passion d'Alexandre Dumas fils admirablement campé ici par Fabrizio Bentivoglio témoin désarmé de débordements que ses faibles rentes ne sauraient endiguer.

 

Vous avez deviné que tout repose alors sur le talent d'Isabelle Huppert qui physiquement ici ressemble à la petite marchande de fleurs des Lumières de la ville ou à la Giuletta Massina de La Strada.

 

Elle joue d'une ambiguïté entre un regard volontaire et des traits fragiles, entre de somptueuses toilettes et un lent délabrement intérieur qui tempère l'insolence par la douceur. C'est admirablement composé sans jamais glisser vers le mélodrame. Nous voyons se dérouler adagio mais legato une grande fresque somptueuse et frivole avec &endash; prise dans la trame &endash; la misère des âmes. Les peintres italiens n'avaient pas dit leur dernier mot.

 

par Claude Baigneres