Une enfant saturnienne dans un Paris de mausolées

Le matin de paris, le 11 mars, 1981

 

Sur les vingt et un films qui ont été inspirés par le roman de Dumas fils, il n'y a eu, du moins à ma connaissance, qu'une seule tentative de modernisation du sujet. La Traviata 53, de Vitttorio Cottafavi, assez fascinante, mais qui se bornait à un rajeunissement superficiel, concernant principalement les décors et les costumes. C'était un affaire de « new look » née dans le sillage de la prestigieuse Manon de Clouzot.

 

Le scénario imaginé par Jean Aurencche et Vladimir Pozner pour le film mis en scène par Bolognini témoigne d'intentions plus ambitieuses. Il s'agit bien, là aussi, d'une entreprise de modernisation mais on a choisi d'oublier le roman de Marguerite Gautier pour faire revivre son inspiratrice, Alphonsine Plessis, et nous parler, entre autres, de la véritable au romancier. C'est une manière de nous traiter en adultes, de se montrer covanincu qu nous ne saurions plus nous émouvoir, en 1981,du mythe sentimental qui a bouleversé des générations d'âme romanesques et qu'il faut nous fournir à tout prix de la vité historique, au risque par le cynisme ou par la banalité du vécu. Ce qui est bien se montre résolument moderne et décidé à dépoussiérer une histoire plus que centenaire de ses conventions mélodramatiques.

 

L'idée était habile, d'autant plus ue la véritable histoire de la dame aux camélias ne pouvait manquer d »être assez exotique et de dépasser la fiction plutôt sage du fils Dumas. On pouvait s'attendre à une impitoyable radiographie des mœurs du Paris de la monarchie de Juillet, à un tableau frémissant des folies de l'époque romantique, à lévocation emportée d'un temps où la jeunesse pouvait être aimée, et passionnément, pour ses charmes phtisiques (qu'on me pardonne d'emprunter ce mot redoutable au poète Robert Desons) tant la liberté de l'amour s'accompagnait communément de la malédiction des faiblesses du corps et de la fatalité de la mortalité juvénile. Il y avait à faire aussi, moins inédit au cinéma mais forcément superbe, un fabuleux portrait de le femme-objet de l'âge d'or des courtisanes, de la despote enchaînée, le portrait d »une Nana qui aurait connu la destinée foudroyant et glacée des agonisantes d'Edgard Poe, d'une Lola Montès qui aurait choisi de ne vivre que le temps de ses fleurs et de ne respirer que l'air des théâtres qui finiraient par l'immortaliser.

 

Je ne dis pas que toutes ces choses ne passent pas, lointaines ou proches, furtives ou insistantes, dans le film de Bolognini. Seulement, on ne peut demander à cet Italien inégal plus qu'il ne peut donner. Il s'est contenté de faire un spectacle éblouissant, qui ne nous touche que par les seules vertus de sa décoration. Ce qui 'est pas rien, sans doute, mais ce qui ne saurait suffire. Bolognini ne sait pas nous parler d'Alphonsine Plessis, i ne peut nous parler que de Marguerite Gautier et encore, de la Marguerite Gautier du théâtre, telle que l'a aimée Giuseppe Verdi. Il nous en administre la meilleure preuve dans les séquences qu'il consacre à la représentation de la pièce que Dumas fils a tirée de son roman, ce sont les seules qu'il ait tout à fait manquées. Ayant été théâtral tout au long de son film, lorsqu'il était censé représenter le réel, il se trouve à bout de ressources lorsqu'il s'agit d'être au théâtre pour de bon, i'inspiration lui fait défaut, il devient presque caricatural.

 

 

Cela dit, près de deux heures durant, il aura su créer une atmosphère de fièvre sournoise, de plaisirs malades, d'allées et venues sans espoir dans les mausolées d'un Paris mythique qui nous dépayse d'autant plus que ses décors sont plus qu'à moitié italiens (initiative heureuse). Il aura enveloppé une Isabelle Huppert férocement taciturne dans ses velours et des satins, perdu le regard de cette enfant saturnienne sous ses voilettes, confronté la pâleur de cette gamine d'outre-tombe à celle des ses camélias des jours de liberté, au rouge de ses camélias des jours de blessure. Il l'aura lancée dans des nuites où brûlent des lampes à l'éclat menacé, entourée d'un luxe oriental où Ingres et Delacroix s'allient pour étaler les fastes d'un fouillis voluptueux. Il l'aura fait progresser à pastêtus, fantômes lucide et charnel dans un univers pictural dont les références, pour nous renvoyer plus souvent au tout-venant de la peinture romantique qu'à ses grands maîtres, n'en sont pas moins dignes de nous troubler et d'enchanter notre œil.

 

Ce n'est plus tous les jours que le cinéma nous donne des choses à voir, il faut donc aller à cette Dame aux camélias. Et oublier que ses scénaristes ont souvent triché en prétendant nous restituer la vérité historique, que la post-synchronisation des acteurs italiens n'est pas toujours heureuse et que les dialogues sont d'une belle platitude. Isabelle Huppert et ses fleurs de sang resteront dans nous souvenirs de spectateurs.

 

par Michel Pérez