La fille aux fleurs rouges

France Soir, le 11 mars, 1981

 

C'est dans la pauvresse du début et dans l'agonisante des dernières images qu'Isabelle Huppert restera dans la galerie de toutes celle qui ont illustré la vie et la légende de «la Dame aux camélias». Le propos des auteurs du scénario &endash; et non hélas celui du metteur en scène &endash; était cette fois de nous conter la destinée dramatique et par instant extraordinaire de cette fille de la campagne, Alphonsine Duplessis, à peu près vendue par son père, mais ambitieuse et douée pour la vie galante au point de devenir l'une des grandes coquettes de la vie parisienne de 1830.

 

Les premières scènes nous montrent donc dans des décors qui conviennent à la situation, une Alphonsine habillée de haillons mendiant sa nourriture et prête à tout pour ne pas mourir de faim. Son intimité trouble avec son père fait jaser dans son village de Normandie et c'est le scandale lorsqu'elle arrive à l'église couronnée isolement de fleurs rouges, révélatrices au milieu de la procession de filles parées des fleurs blanches de l'innocence.

 

Et là apparaît l'un des défauts du film tel qu'on nous le présente: cette scène de procession est somptueuse avec une figuration très imposante et une très dense recherche dans les costumes avec des oppositions d'attitudes et de couleurs. Le spectateur s'attend à quelques minutes d'un spectacle grandiose. Au contraire, image et musique sont coupées net en pleine action et l'on passe vite, trop vite, à la suite d'un film qui pourtant sera long.

 

Ces coups de hache dans le montage plusieurs fois perceptibles sont d'autant plus dommageables que Mauro Bolognini se complait dans les beaux décors, la mise en scène à grand spectacle et au rythme lent.

 

Mais dans cette scène et celle qui suit Isabelle Huppert est encore vraiment l'Alphonsine Plessis que les scénaristes Jean Aurenche et Vladimir Pozner avaient l'ambition de nous montrer dans sa vérité. Recueillie par un jeune prêtre, elle le séduit presque malgré elle et fuit après qu'il se soit pendu. Son père l'accompagne et c'est ensemble qu'ils se réfugient sur un coche d'eau où Alphonsine &endash; toujours pitoyable &endash; rencontre pour la première fois son futur protecteur, le conte Stackelberg et aussi un bateleur auquel son père la cède mais dont elle tombe amoureuse.

 

Ensuite, c'est Paris où Alphonsine se prostitue avant d'attire l'attention d'un aristocrate qui l'installe chez lui. Et la scène est très belle où ce dandy cynique dénude sa maîtresse et lui fait descendre aisi l'escalier au bas duquel se pressent tous ses amis prêts à surenchérir.

 

C'est par la suite que tout se gâte. Bolognini cherche avant tout à faire beau et son interprète est quelque peu perdue dans cet énorme musée aux décors constamment renouvelés. Ça 'est plus Alphonsine Duplessis mais ça n'est pas pour autant « La Dame aux Camélias ». Et la contradiction entre les intentions des scénaristes et la réalisation devient-évident.

 

L'héroïne promène alors un air boudeur au milieu de fêtes qui semblent à peine la concerner, de gens qui lui sont odieux ou simplement indifférents. La rencontre avec Dumas donne de jolis moments mais le spectateur ne sait déjà plus très bien si on veut lui raconter la vérité ou encore le mystifier. L'émotion est loin et l'intérêt émoussé.

 

Il faut alors la très belle scène de la mort pour qu'à nouveau le sort d'Alphonsine nous touche. Mais Bolognini qui avait commencé son film par une scène de la pièce de Dumas revient à la fin au théâtre pour avoir après la mort d'Alphonsine Plessis celle de Marguerite Gautier. Jusqu'au bout c'est la surcharge et le vrai film sur la fille aux fleurs rouges reste à faire.

 

By Robert Chazal