Isabelle Huppert ne veut plus mourir au cinema

France Soir, le 11 mars, 1981

 

Ses prochains roles seront plus legers. Elle n'est pas la vingt-deuxième «Dame aux camélias», mais la première Alphonsine Plessis. Le film de Bolognini raconte la véritable histoire de celle qui inspira Alexandra Dumas fils.

 

Des taches de rousseur, es cils presque décolores, l'air d'une petite souris qui passe sans se faire remarquer dans les encombrements de la vie. Et puis le miracle. La caméra tourne, le metteur en scène di « moteur » et Isabelle Huppert devient une autre, intense, pitoyable, pauvresse, grande courtisane ou riche héritière, mais toujours, toujours tendue à l'extrême dans une perfection de jeu qui la transforme, la rend belle, la fait briller comme un candélabre, illuminé par mille bougies.

 

A partir de mercredi prochain dans « LA DAME AUX CAMÉLIAS » filmée par Mauro Bolognini, on la verra séduire tous les hommes et mourir seule.

 

Pourquoi après Sarah Bernhardt, Theda Bara, Paula Negri, Yvonne Printemps, Greta Garbo et beaucoup d'autres. Isabelle Huppert a-t-elle voulu être la vingt-deuxième Dame aux camélias du cinéma?

 

«Parce que ce n'est pas la vingt-deuxième Dame aux camélias, mais la première Alphonsine Plessis. Jean Aurenche, l'auteur du scénario a essayé de raconter la vraie vie de celle qui inspira son chef-d'œuvre à Alexandre Dumas fils. Tout en y amenant bien sûr des variations romanesques.»

 

Le Choix

 

Cette Dame aux camélias qui a fait rêver tant d'hommes, a fait rêver Isabelle Huppert qui a mis dans son jeu tout ce que lui dictait son imagination. Pour elle, ce mythe moral (la rédemption par la maladie et la mort) est une histoire profondément morale. Tout comme la prostituée qu'elle jouait dans SAUVE QUI PEUT LA VIE de Godard. La Dame aux camélias a choisi son destin. Ce n'est pas une victime, c'est de son libre choix qu'elle vend son corps.

 

On pourrait se demander (on ne fait d'ailleurs beaucoup quel petit jeu le cinéma joue avec Isabelle Huppert en lui faisant incarner successivement trois femmes vivant de l'amour qu'elles donnent aux hommes, en un mot trois prostituées. Avant « SAUVE QUI PEUT LA VIE », elle a été une autre prostituée dans le film de Cimino «LES PORTES DU PARDIS» qui sera probablement présenté hors compétition au Festival de Cannes. Ensuite, superbement habillée, maquillée devenue cette dame aux camélias qui ruina tant d'hommes. Pour Isabelle ce n'est qu'une coïncidence, certes. La prostitution est un thème vieux comme le monde, un thème à trois variantes, l'argent, le sexe et l'amour. C'est bien normal que le cinéma se passionne pour lui.

 

Après avoir toussé à en mourir dans « LA DAME AUX CAMÉLIAS », après être morte encore une fois dans « LES AILES DE LA COLOMBE » de Benoît Jacquot, qui sera lui aussi sûrement présenté au Festival de Cannes, Isabelle ne veut plus mourir, elle ne veut plus tousser. Ses prochains rôles seront plus légers, plus pervers. Car c'est difficile pour une jeune femme aussi entière qu'elle d'entrer à fond dans un personnage et d'en sortir sans mal, une fois le film terminé.

 

 

"Ce n'est que lorsque le public me voit jouant le personnage que je me sens enfin libérée."

 

 

Cet enfantement est d'autant plus douloureux que le film est grave. C'est pourquoi Isabelle, insolite Dame aux camélias espère qu'elle aura moins de peine à sortir des ses prochains films. Grâce à Bertrand Tavernier, de drôles et plutôt diaboliques aventures l'attendent au Sénégal, où elle commence en avril « COUP DE TORCHON».

 

Très séductrice et pas du tout recommandable, elle tue son mari avant de devenir la maîtresse de Philippe Noiret. Cette historie édifiante se déroule en 1938 dans la brousse. Ensuit, elle vivra un grand amour avec Jean-Louis Trintignant dans le film que Michel Deville a adapté d'un roman policier de Patricia Highsmith. Et puis retour à Godard avec « La Passion », un titre qui en dit long.

 

Une étonnant trajectoire

 

Continuant son étonnante trajectoire, Huppert fera en novembre tourner la tête des hommes dans « LA TRUITE », le film de Josef Losey, d'après le roman de Roger Vailland. Elle ne peut pas le nier, elle aime tourner par-dessus tout, se transformer. Au début de « LA DAME AUX CAMÉLIAS » elle a quinze ans, à la fin vingt-trois. Le prodige, c'est qu'elle a vraiment quinze ans, une petite mine de pauvresse, le regard noyé d'innocence, une innocence déjà un peu entamée par la vitalité brutale de son père (remarquablement joué par Gian-Maria Volonte). A la fin elle a vraiment vingt-trois ans, elle est braiment tuberculeuse, vraiment courtisane, vraiment sensuelle, brûlant sa vie par les deux bouts. Personne, même pas Huppert, ne peut expliquer ce miracle qui la fait changer aussi radicalement. Peut-être est-ce du mysticisme? Peut-être les grandes comédiennes sont-elles douées d'un pouvoir secret et inexplicable qui leur vient de nul ne sait où.

 

By Monique Pantel