Mort à Venise. Souvenez-vous que dans le film de Luchino Visconti, Aschenbach (Dirk Bogarde) tenait à rester dans Venise malgré l'épidemie de choléra qui s'y déclarait. 11 acceptait sa mort prochaine par amour de la beauté, par amour pour le jeune Tadzio. Dans " Les ailes de la colombe", il s'agit encore d'une mort, celle de Marie (lsabelle Huppert), une jeune fille très riche et très malade qui choisit également Venise pour décor ultime. 11 n'y a bien sûr aucun autre point commun entre les deux films, mais c'est vrai que poser les pieds à Venise sans penser à Visconti, sans être fasciné par ce lieu magique est impensable. « C'est une ville vénéneuse et envoutante, annonce d'emblée lsabelle Hupert. Venise n'est pas un décor innocent. C'est une ville pieuvre qui vous distille une sorte de nectar qui devient poison. » Une ville qui est en quelque sorte le quatrième personnage d'un film qui réunit lsabelle Huppert, Dominique Sanda, Mlchele Placido et Benoit Jacquot, déjà réalisateur de "L 'assassin musicien" et "Les enfants du placard".
L'aventurière et l'orpheline
Librement inspiré de Henry James, "Les ailes de la colombe" est un film qui met en scène une machination : celle qui voit Catherine (Dominique Sanda), à la fois aventurière et "pute de luxe", chercher à s'emparer d'une partie de la fortune de Marie, une jeune orpheline condamnée à mourir très vite. Machination qui consiste à faire séduire Marie par l'amant de Catherine, Sandro (Michele Placido ). peut-on alors parler de thriller ? « Non, affirme le réalisateur, car il s'agit vraiment et littéralement d'une comédie dramatique. Un film dont je voudrais que le ton soit celui d'une comédie, c'est-à-dire rapide et brillant, avec des choses qui vont vite tout en demeurant gracieuses et élégantes. Avec sans cesse en sourdine, un drame, mais qui n'envahisse pas le film. » Silencio ! Une chose impossible à obtenir en Italie. Un tournage qui fait beaucoup souffrir 1' ingénieur du son car cela va des cris et des rires aux abords du plateau jusqu'au machiniste qui éternue en pleine prise !
Un physique... un cadre
Ce soir, un travelling a été installé Ponte de la Malvasia Vecchia, le long du canal. Il est dix-huit heures, la nuit tombe. Etrange spectacle que celui de cette Panaflex installée à l'extremité d'un bras articulé pour "venir chercher" l'arrivée de Dominique Sanda et Michele Placido derrière le pont. Une Dominique Sanda étincelante dans une superbe robe du soir très largement fendue et créée pour la circonstance par Christian Gasc, le costumier. Curieux quand même comme le physique de Dominique Sanda sied bien au cadre vénitien ! Une même beauté diaphane et irisée ; une grandeur à la fois aristocratique et beaucoup de fragilité dans l'émotion... Au sortir d 'une réception, Catherine et Sandro se font attaquer par deux voyous. Echange de coups de poing entre eux et Michele Placido, sous les yeux de Dominique Sanda, figée. Le genre de scène banale, mais difficile à tourner. A la troisième prise d'ailleurs, Placido prendra le poing de son agresseur en plein dans la pommette droite. Et durant un "raccord", un autre coup de poing l'atteindra... avant que Catherine ne vienne 1' embrasser...
« Catherine est quelqu'un qui vit de l'argent que son corps lui rapporte parce qu'elle n'a pas d'autre possibilité dans la vie, nous apprend Dominique Sanda. En même temps, elle le fait dans la joie car ça lui permet d'entreprendre les choses qu'elle aime. Et même si elle fait les choses avec dérision, elle est tout à fait capable de grandes passions. C'est un personnage qui aime rire, qui aime l'amour. Quelqu'un qui a un côté suicidaire dans la joie. Elle prend la vie comme un grand jeu. »
En même temps, la machination qui est l'objet du film est très vite pervertie car Marie et Catherine ne sont pas dupes l'une de l'autre. Leur jeu devient alors un jeu de fascination. «Ma démarche, confirme Sanda, n'est pas du tout celle que j'avais dans "L'héritage" , par exemple, où j'assassinais tout le monde pour prendre l'argent. »
De son côté, Isabelle Huppert a une supériorité sur les autres, car elle sait très bien qu'elle est condamnée à mourir . « Simplement, les autres ne savent pas forcément à quel point je sais qu'ils connaissent mon sort. ça me donne la supériorité qu'a un mourant sur des vivants ; je n'ai plus rien à perdre. Curieusement, ça me rend plus vivante que les vivants embringués dans leurs petites histoires matérielles. En allant plus loin, ça donne même à Marie une sorte de santé. Et le film joue sur ce paradoxe. »
Un personnage qui n'a pas, malgré les apparences, de points communs avec celui de "La dame aux camélias" dont elle a achevé le tournage : « Là, j'étais quelqu'un qui affichait sa maladie et entretenait une relation très forte avec elle. C'était une descente aux enfers où la maladie était montrée de façon très réaliste. Ici, ça demeure une chose tres abstraite. »
Une confrontation intéressante
Grace aux " Ailes de la colombe", voilà en tout cas une confrontation de comédiennes qui s'annonce fort intéressante. Pour Benoît Jacquot, leur réunion était évidente. « D'une part, ce sont les deux actrices françaises que je connais le mieux, d'autre part, elles sont en général cantonnées dans des rôles très dramatiques où elles portent le poids de tous les malheurs du monde, alors, j'ai voulu les égayer un peu. » « Physiquement, nous sommes très différentes, dit Isabelle Huppert, mais au fur et à mesure qu'on travaille, on se découvre beaucoup de points communs. On s'exprime toutes les deux de façon détournée et souterraine. » Ce que confirme Dominique Sanda. « J'ai l'impression d'avoir vécu ce qu'Isabelle est en train de vivre et donc de la connaître d'autant plus. Etant quelqu'un d'assez fermé comme elle, la rencontre ne s'annonçait pourtant pas simple. Mais nous avons été séduites l'une par l'autre... »
Dominique Maillet photos Fabian (Sygma) et Benoit Barbier