Cine-Revue, mars 1981
La Dame aux Camélias
Cine-Revue, mars 1981
La tragique destinée d'une femme ivre de liberté
Véritable mythe grâce à la pièce d'Alexandre Dumas dans laquelle elle devient la célèbre Marguerite Gautier, la Dame aux Camélias demeure l'un des personnages les plus fascinants de l'histoire du théâtre et du cinéma : avec son opéra « La traviata », Verdi rendit notamment un puissant hommage à cette pièce dont le succès fut considérable au XIXe siècle, adaptée ensuite à de nombreuses reprises à l'écran avec la même veine. La version 1936 de George Cukor, avec Greta Garbo, est d'ailleurs restée l'un des plus grands classiques du cinéma.
L'histoire de la vie amoureuse et passionnée d'Alphonsine Plessis, dite « La dame aux camélias », a toujours fait courir les foules et c'est pourquoi, bien qu'il s'agisse de la vingt-troisième adaptation cinématographique, le film du grand réalisateur italien Mauro Bolognini est considéré à juste titre comme un véritable événement.
Oui était donc cette femme romanesque dont l'existence faite d'amours, d'argent et de plaisirs, demeure à la fois une aventure troublante et une fascinante destinée ?
Le film s'ouvre en 1838, sur un univers gangrené par la misère. Les Plessis y font déjà scandale. Leur amour insolent de la liberté choque la plupart des gens : le père et sa fille dorment dans un même lit La voie tumultueuse d'Alphonsine est toute tracée, symbole triomphant d'une féminité récemment acquise, elle déclenche la panique au pensionnant qui l'a recueillie. Un jeune prêtre, qui n'a pu résister à son charme d'ingénue, se pend. Fascinée par la vie de la haute société et par son luxe dont elle rêve de goûter les plaisirs grisants, Alphonsine se laisse entraîner dans la prostitution. Bientôt, le comte Stackelberg, aristocrate solitaire, lui offre sa protection en échange d'un peu d'amour. Alphonsine devient l'une des courtisanes les plus remarquées de Paris, couverte de bijoux et se montrant souvent ornée d'un bouquet de camélias : la dame aux camélias est née.
La dame aux camélias, dont la réussite decuple le charme féminin est pourtant condamnée, par un mal étrange
Cine-Revue, mars 1981
Mais, dès cet instant, son irrésistible ascension va inexorablement tourner au drame. Car la vie lui a ôté depuis toujours la plus belle chance des hommes : la santé. Atteinte aux bronches depuis son enfance, Alphonsine est torturée par ce mal secret dont elle cherche désespérément à se défaire. La jeune femme brûle sa liberté, sauvage, dissolue et violente. Elle partage avec un jeune comte son goût pour les extravagances, le risque, la provocation. Ils sortent, font l'amour dans la rue, s'enivrent et fument de l'opium. Alphonsine rencontre Alexandre Dumas dont elle s'éprend violemment, devient la maîtresse d'un musicien déjà célèbre, Franz Listz. Son destin tumultueux est définitivement tracé
Travaillant tout en pudeur grâce à une caméra sensible et passionnée, mettant en valeur ses images, qui sont par moments de vrais tableaux, par quelques touches délicates d'érotisme, Mauro Bolognini n'a pas trahi la légende et l'esprit romanesque qui animent tout au long l'intrigue. LE grand pôle d'attraction du film, c'est évidement la douce et romantique Isabelle Huppert dont on attendait avec impatience ce grand rôle de composition. L'héritage était pourtant lourd à porter : on ne succède pas aisément à Sarah Bernhardt (1908), Pola Negri (1920), Yvonne Printemps (1934), Greta Garbo (1936) ou Micheline Presle (1952), autant de monuments du cinéma pour ne citer que quelques-unes des prestigieuses dames aux camélias de l'écran, sans une certaine appréhension. Celle-ci se dissipe dès les premières images. Isabelle Huppert a réussi la gageure d'entrer dans la peau de ce personnage exceptionnel. En sa compagnie et malgré les nombreuses adaptations passées, on redécouvre l'inoubliable existence de « La dame aux camélias »
Par Luc Bareges