La Dame aux Camélias

20 ans, Mars 1981

 

Rayon poumons, pour cette pauvre Marie, ça n'allait pas très fort. Un siècle avant le BCG et la cuti-réaction, les vilains bacilles de la phtisie l'ont emportée à 23 ans. Côté messieurs, ce fut nettement plus brillant. Après avoir affolé les gars du bocage normand dès l'âge de douze ans, cette enfant est passée rapidement à des plats de résistance nettement plus nourrissants, en devenant la plus célèbre courtisane du XIXe siècle. Ducs et millionnaires, compositeurs célèbres et écrivains se sont ruinés pour elle. L'un de ses amants, Dumas fils, la fit entrer pour toujours dans la légende sous le nom de «LA DAME AUX CAMÉLIAS». Les rats de cinémathèque se disputent à qui mieux-mieux pour savoir quel numéro attribuer à cette nouvelle version d »une des histoires les plus fréquemment adaptée au cinéma. Les scénaristes de la version 1981 ont voulu renouveler le genre en nous offrant, cette fois, la vraie historie et non le récit de Dumas fils.

 

Il est dommage qu'ils se soient arrêtés à mi-parcours, alors que leur démarche était intéressante. Et, au lieu de coller à la réalité du personnage, ils ont développé de nouvelles conventions dramatiques, dont il n'est pas évident qu'elles soient plus vraisemblables que celles sur lesquelles s'appuyait le texte de Dumas fils. Pourquoi avoir tant insisté sur le rôle du père, qui était mort depuis longtemps lorsque la courtisane commençait sa carrière, en le faisant vivre jusqu'après la disparition de sa fille ? Pourquoi s'être contenté d'anecdotes pour montrer l'ascension de Marie, alors que sa vie la plaçait dans un maelström de sensations, de conflits et de connaissances qui en font une héroïne romantique exemplaire ? Pourquoi avoir troqué le récit d'une vengeance sociale menée tambour battant, parce que la mort est toute proche et que le temps est mesuré, contre une psychologie superficielle ? Le metteur en scène, Mauro Bolognini, un héritier de Visconti mais sans le souffle et l'intelligence du maître, est tombé à son tour dans tous les pièges que lui tendaient les faiblesses du scénario. Son incontestable talent de coloriste en fait un calligraphe au goût exquis, mais sans réelle profondeur. Il lui faut un scénario en béton, généralement, pour ne pas s'enliser dans le maniérisme. Son chef-d'œuvre, « Metello », qui date d'il y a une dizaine d'années, reposait sur un travail d'écriture extrêmement précis, et ses producteurs avaient veillé avec une attention particulière à retrouver cette précision dans le montage. Cette fois le tournage a été prévu pour faire également une série de plusieurs heures à la télévision, ce qui n'est jamais très bon pour condenser le récit et lui donner un équilibre nécessaire à la projection cinématographique proprement dite. Le film souffre finalement des défauts d' «Eléphant Man» : els intentions réalistes qui étaient neuves se sont évanouies, et l'indéniable beauté des images ne parvient pas à transcender des situations creuses et un montage à la fois mou et heurté.

 

Et pourtant, il ne s'agit pas véritablement d'un ratage: Isabelle Huppert y donne en effet une leçon de cinéma que toute l'équipe du film aurait dû méditer. On a l'impression qu'elle est la seule à avoir compris l'intention de départ des scénaristes et qu'elle y est restée constamment fidèle alors que tout le reste de la production se perdait dans des préoccupations commerciales hasardeuses. Du personnage dont il ne restait plus qu'une ébauche, pour des raisons qui ne sont pas de son fait, elle a su conserver le meilleur, le vivre intensément de l'intérieur et le transcender pour nous l'offrir. Sa «Dame aux Camélias» s'impose finalement contre le film. C'est ce qui arrivait souvent aux grandes heures du cinéma hollywoodien.

 

by Frédéric Mitterand