Paris Match N°1634

le 19 Septembre, 1980  

 

Elle est la championne du tournage: 24 ans, 24 films

Au faite du succes elle constate:

"Je ne sias pas si je suis capable d'aimer"

 

 

photos: Patrick Jarboux

 

Isabelle Huppert:

Je ne suis ni épouse ni femme ni mère

Paris Match N°1634, le 19 Sept 1980,

 

Isabelle Huppert est l'héroïne de « loulou » qui vient de sortir. Le film avait défrayé la chronique avant même d'être vu. C'est un des événements de la rentrée. C'est aussi son 24e film. La 24e version du mystère Huppert. La romancière Katherine Pancol (« Moi d'abord ») a découvert une sincérité, une séduction. &endash; par Katherine Pancol.

 

"Nelly, c'est un peu moi», murmure Iisabelle Huppert recroquevillée dans la fourrure fauve du grand fauteuil. La Nelly de «Loulou». Le film de Maurice Pialat qui conte l'historie d'un passion furieusement physique entre un loubard zonard (Gérard Depardieu) et une jeune femme bien établie (Isabelle Huppert). Les lits s'écroulent, les jambes s'emmêlent, les dialogues n'existent presque plus. C'est la passion en gros plan. « Je n'ai jamais eu le sentiment de douer pendant le film. D'ailleurs, nous n'avions aucune indication de scène… Moi, j'ai toujours fait des films qui correspondent à ce que je suis quand je les tourne. Il y a deux ans, par exemple, la passion me faisait peur… "

 

C'était le temps de « La dentellière», de « Violette Nozière », d'une Isabelle violente mais retenue. Et aujourd'hui, par la magie de sa vie et celle de son metteur en scène, elle est devenue Nelly. « Dans ses films, Pialat parle de lui et fait en sorte que les gens parlent d'eux. Il nous oblige à une sorte de livraison personnelle… » Une peu étonnée tout de même par la force de sa « livraison » mais tout à fait d'accord. « On dit que Nelly est amorale et dure; Moi, je ne trouve pas ou alors… c'est que je suis très amorale et très dure moi-même!» Sourire dans la fourrure. « Nelly essaie de vivre, c'est tout. Il faut prendre tous les risques pour vivre. Les femmes qui anesthésient leur désir, c'est pire que celles qui vont jusqu'au bout de leurs envies. Mettre une croix sur ses désirs, c'est la mort. On ne peut pas renoncer à ce qui fait sa réalité… sa vie. C'est pour cela que je défends Nelly, je ferais exactement comme elle.»

 

Fragile mais résolue, effacée mais fonceuse, Isabelle Huppert est l'actrice qui tourne le plus du cinéma français: vingt-quatre ans, vingt-quatre films. Une carrière qui a tout juste sept ans. Mais en même temps, elle garde ses distances. Et si elle se reconnaît tout à fait dans le personnage de Nelly, elle en connaît aussi les dangers. Ce n'est pas quelqu'un qui croit en l'amour-toujours, l'amour- miracle qui résout tout. « Il faut se méfier de la passion, la passion est mortelle. Sans issue. Un mélange de bonheur très fort et de mort.» Elle est contre les belles images vendues par les marchands de bonheur. « L'amour, ce n'est pas Roméo et Juliette. Le désir physique, ça épuise. C'est ça qui est tragique… » Alors, il n'y a pas de recette ! La recette, c'est de changer, d'avancer, de suivre ses impulsions, ses désirs. « C'est pour ça que je suis comme Nelly. Ce n'est pas par courage ni par choix, mais parce que je ne peux pas faire autrement. Et puis, tant pis! Etre libre, c'est toujours prendre le risque de se faire traiter de fou et de pervers par les autres… »

 

Aucune envie de se frustrer pour ressembler aux autres. Envie de se ressembler elle. « Je veux être bien ». Etre en prise avec sa réalité. Oui, mais alors ? Comment elle vit, elle, après toutes ces déclarations hardies ? « Un peu comme Nelly. Repli dans la fourrure… Oui, mais encore… « Je me veux pas qu'on fouille dans ma vie privée. Tout ce qu'il y a à dire sur moi, c'est dans mes films. Ma réalité, c'est le cinéma et le cinéma que je fais est plus réel que ma vie privée. Mes films sont des miroirs pas tellement déformants… »

 

Elle trouve l'idée du mariage « romantique et amusante », mais pour de vrai « le mariages, c'est dur... Pas pour moi. » Des enfants ? « Quand j'en ai envie, c'est pour de mauvaises raisons, quand je veux ressembler aux autres... Ça me rassure. Si jamais j'ai des enfants, ce sera à ma manière…» Pas comme les autres qui s'affichent à la une des magazines avec leurs bébés, preuve de bonheur dans les bras. Ces belles images-là, on sent qu'elle les déteste. « Balancer du bonheur à la gueule des gens, c'est malhonnête car le bonheur c'est pas des petits nœuds roses, c'est tantôt le malheur tantôt la joie… »

 

 

Alors, en attendant que son bonheur compliqué se construise ou se défasse, elle « vit ». Elle tourne des films, elle voyage, elle revient à Paris, elle range son appartement. « C'est une manie: ranger, trier… Comme si, en rangeant mes affaires, c'est dans ma tête que je voulais ranger!» Elle ne fait ni cuisine, ni bricolage, ni décoration. Elle range puis elle dort. « J'aime dormir, je me replie sur moi-même, je reste dans mon lit, je suis bien… »

 

Elle voit sa famille, ses sœurs et son frère, ses amis. «Je ne sais pas si j'ai beaucoup d'amis. J'ai des références: Pialat, Godard… Des gens qui me modifient. Et puis, j'ai une copine, une très bonne copine : Christine Pascal. J'aime ce qu'elle fait, son itinéraire, sa manière de vivre. »

 

Sortie de l'écran, sa vie n'est qu'attente d'un autre film. Sa vie, c'est le cinéma. «Je ne suis ni épouse, ni femme, ni mère, je suis actrice. Je vis vraiment pendant un tournage. Je m'intéresse à tout. C'est comme quand j'allais à l'école, que j'avais un cartable tout neuf et que je faisais des linges… Alors, devant ce bonheur-là je me dis qu'on ne peut pas tout avoir, c'est pas vrai… »

 

Bonheur et réussite. Quatre films l'année dernière, trois cette année, des tournages en Italie, en Amérique. Une vie en avion et chambres d'hôtel. Hollywood la demande, elle, pour être la vedette féminine du dernier film de Cimino : « Les Portes du Paradis », où elle joue une petite tenancière d'un petit bordel. Le film sort en février, en France. En même temps que le Bolognini : « La Dame aux camélias », juste après le Godard… Isabelle la star.

 

«Ce n'est pas mon rêve d'être une actrice hollywoodienne. Moi, je suis française. J'ai mes racines en France et dès que je m'éloigne trop longtemps, le petit clocher au bout de la rue me manque… »

 

Une star d'un mètre soixante de quarante-quatre kilos, qui a les cheveux relevés en queue de cheval, des taches de rousseur en guise de maquillage et une définition de son métier à pirouetter de rire: «Etre actrice, c'est être au régime et attendre!»

 

Par Katherine Pancol

Photos Patrick Jarboux