8 femmes Des stars qui s'amusent, des actrices, des actrices qui jubilent, un réalisateur qui ose et séduit. Un plaisir absolu.
L'HISTOIRE Dans Les années 50, Le maître d'une demeure bourgeoise est assassiné quelques jours avant Noël. Huit femmes, très proches de La victime, deviennent aussitôt Les huit suspectes.
SORTIE 6 FEVRIER
Huit femmes est un petit, chef-d'oeuvre, un thriller glamour qu'il ne faut manquer sous aucun prétexte. Voici huit raisons pour courir le voir. 1) Le casting. Historique! La fine fleur féminine du cinéma français, toutes générations confondues, s'y épanouit; dans une floraison de fiel et d'élégance : Ardant, Beart, Darrieux, Deneuve, Huppert, Ledoyen, Firmine Richard et Ludivine Sagnier. Une constellation d'actrices, qui vont, 1 h43 durant, se déchirer de leur bec badigeonné de rouge et de leurs ongles manucurés. Un festival de stars-icones qui jouent avec leur image où se jouent d'elle, avec la même délectation. Huit panthères dans une même cage... Un casting d'enfer. Un exploit et un plaisir - total. 2) le scénario. Adaptée d'une pièce des années 60 de Robert Thomas, l'intrigue est un feu d'artifice de chausse-trapes, de fausses pistes, de pièges et de rebondissements, dignes d ' Agatha Christie, dynamité, en plus, par des dialogues percutants et un humour noir qui, derrière leur légèreté, ne sont pas très rassurants quant à la nature des femmes - et des hommes. 3) le look. Un travail subtil sur la lumière enveloppe les huit actrices d'une aura rétro et dramatique. l'architecture théâtrale des décors magnifie l'action et ménage la montée de la tension. Elégance suprême, enfin, des costumes, qui sont en totale adéquation avec la psychologie de celles qui les portent. 4) La mise en scène. Affinant ses partis pris stylistiques, François Ozon mène, avec un singulier mélange de tact et d'audace, de fascination et de distance, cette danse de séduction et de mort, tout en laissant à chacune de ses interprètes assez d'espace pour qu'elle imprime sa marque. Un équilibre parfait. 5) Le jeu de miroirs. Les actrices qui s'interpellent derrière leurs personnages, les clins d'oeil à Femmes de Cukor, mais aussi au Dernier métro, à Marie-Octobre, à Gilda, aux Hommes préfèrent les blondes et même à Hairspray, démultiplient notre premier plaisir de spectateur et, au-delà de l'exercice de style, approfondissent notre trouble. 6) La chanson et la danse. Avec un culot jubilatoire, le réalisateur ponctue son film de huit intermèdes musicaux : chacune de ses héroïnes se révèle en dansant et en chantant. Un summum de kitsch, vite transcendé par l'émotion. 7) La passion, même vénéneuse, dont déborde ce film pour les femmes et les actrices. A ce point-là, c'est rare. 8) La liberté, l'audace et le talent dont témoignent autant les actrices que leur metteur en scène. Et qui ont permis à cette entreprise folIe et glamour d'exister. Comment ne pas être sous le charme ? MICHEL REBICHON
REALISATION François Ozon. SCENARiO F, Ozon, d'après La pièce de Robert Thomas, ACTEURS Catherine Deneuve, isabelle Huppert, Fanny Ardant, Emmanuelle Beart, Virginie Ledoyen, DanieLle Darrieux, Ludivine Sagnier, 'Firmine Richard, COSTUMES Pascaline Chavanne. PHOTO Jeanne, Lapoirie. Production Fidélité, DISTRIBUTION Mars, DUREE 1 h43.
Elles et lui
François Ozon a osé.
Pour son cinquième long métrage, le réalisateur de Sitcom et de sous le sable a réuni un casting féminin exceptionnel et a réussi un film incroyablement ludique, plein de clins d'oeil et de références cinématographiques, de glamour, d'émotion et de noireceur. François Ozon raconte les dessous de cette belle aventure. Interview Jean_pierre Lavoignat
Quel a été le point de départ de 8 femmes? L' envie de travailler avec ces actrices ou le sujet ?
François Ozon - II y a long temps que je voulais faire un film uniquement avec des femmes - j'avais même écrit un court métrage, que je n'ai jamais tourné, où il n'y avait que des femmes. Dans mes films, c'est vrai, il y a souvent une absence d'hommes : dans sitcom, on élimine le père; dans Sous le sable, le mari disparaît. . . Et puis, parmi mes films préférés, il y a Les larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder et Women de Cukor. l'ai d'ailleurs commencé à réfléchir à l'idée de faire un remake du chef-d'oeuvre de Cukor. J'ai revu Women et j'ai voulu acheter les droits de la pièce dont le film est tiré. J'ai appris qu'ils appartenaient à Julia Roberts et Meg Ryan, qui, parait-il, essaient de monter le projet depuis plusieurs années sans y parvenir. J'ai bien pensé pendant trois secondes aller aux Etats-Unis et dire « Je suis prêt», mais je ne parle pas assez bien anglais et, surtout, c'est avec des actrices françaises que j'avais envie de travailler. Au-dessus, mon agent, Dominique Besnehard, m'a parlé d'une pièce des années 60, Une comédie policière de Robert Thomas : Huit femmes. Qui est Robert Thomas ? - Un auteur de pièces de boulevard, homosexuel, mondain, qui a sombré dans I'oubli, mais qui connut son heure de gloire dans les années 70, et dont la spécialité était les comédies policières. II fit fortune en vendant une de ses pièces, Piège pour un homme seul, à Hitchcock, qui mourut avant de I'adapter. En septembre 2000, au Festival de San Sebastian, où I'on présentait Sous le sable, je lis la pièce dont m'avait parlé Dominique. Je la trouve un peu désuète, mais, en même temps, I'in,trigue policière - huit femmes sont dans une maison avec un homme, l'homme est tué ; la coupable est forcément I'une d'entre elles est intéressante et efficace, son dénouement est séduisant et l'ensemble pouvait être porteur d'une grande émotion. A partir de la, je me suis mis au travail.
Sur quoi votre travail d'adaptation a-t-il porté ?
- J'ai gardé la structure de la pièce, mais j'ai essayé de renforcer l'humour et la férocité des dialogues, tout en donnant de la profondeur aux personnages. J'ai cherché aussi à rendre plus complexes, plus modernes, les rivalités et les rapports familiaux de ces huit femmes. J'ai d'abord travaillé tout seul, puis avec Marina de Van (actrice de Sitcom, coscénariste de Sous le sable et réalisatrice). Elle m'a notamment aidé pour la toute fin du scénario et pour certains personnages qu'il a fallu affiner, développer. Ce qui était amusant, en effet, une fois le casting terminé, c'était de retravailler le scénario en fonction des actrices choisies. On pouvait fantasmer sur les rapports des unes avec les autres, se laisser aller aux clins d'oeil, aux références, au délire même. . .
Saviez-vous, dès le lancement du projet, quelles actrices vous vouliez ? -
Pas exactement. Parallèlement à I' écriture du scénario, je me suis mis à en discuter avec Antoinette Boulat, ma directrice de casting. Très vite, on s'est dit: , »Avec une histoire pareille, qui est quand même très spéciale, ce qui serait génial, ce serait d'avoir des stars. " Cela permettait de dépasser le premier degré de I'intrigue policière et me donnait la possibilité de faire aussi un film sur les actrices. Sur mon rapport au cinéma et aux actrices. Derrière ce meurtre mystérieux, on allait voir des stars s'aimer, se disputer, s'embrasser. On est donc partis sur un casting idéal, où les actrices seraient choisies parce qu'elles correspondaient aux personnages, mais aussi pour tout ce qu'elles portaient en elles, grâce à leurs rôles précédents. On s'est mis à rêver : et pourquoi pas Catherine Deneuve dans le rôle de Gaby, et Isabelle Huppert dans celui de sa soeur ? A moins qu'on intervertisse les rôles ? Et pourquoi pas Danielle Darrieux pour jouer leur mère; Fanny Ardant, la belle-soeur et Emmanuelle Beart, la bonne, etc. ? On en parlait sans cesse à Dominique Besnehard qui connaît bien les actrices et sait lesquelles ne sont pas prêtes à tourner avec d'autres.
Lesquelles?
- Demandez-le-lui! (Rires.)
Par laquelle avez-vous commencé ?
- Je ne me souviens plus exactement. Peut-être par Catherine Deneuve. . . En même temps, il y a des rôles qui s'imposaient, comme Danielle Darrieux pour la grand-mère ou Firmine Richard pour la gouvernante. Dans la pièce, celle-ci n'est pas noire, mais j'avais envie, moi, d'un personnage de couleur et de quelqu'un comme Firmine. A partir du moment où c' était aussi un film sur les actrices, je trouvais intéressant qu'il y en ait de moins connues que d'autres.
Cela posait d'autres questions -~ qui est une star ? qu'est-ce qu'une star ? - et ça prolongeait la dimension sociale, l'aspect « conflit de classe " de la pièce. . . Danielle, je lui avais proposé de jouer le rôle de la belle-mère de Charlotte Rampling dans Sous le sable. Mais elle m'avait dit : " le ne veux pas jouer une vieille dame méchante en robe de chambre dans une maison de retraite. Quand tu auras un rôle rigolo d'une vieille qui fume des pétards, appelle-moi! " La grand-mère de 8 femmes ne fume pas de pétards, mais je l' ai appelée quand même. Elle a tout de suite accepté. Sous le sable a beaucoup facilité l'étape du casting. Le film n'était pas encore sorti, mais il avait été présenté à San Sebastian, à Acapulco, à Toronto. Le bouche-à-oreille était très bon. J'ai d'ailleurs montré une cassette à Catherine.
Quelle a été sa réaction ?
Je crois qu'elle a beaucoup aimé. Et même si elle n'était pas folle de l'idée de Robert Thomas, qu'elle avait connu, elle trouvait le projet de 8 femmes original, bizarre et, donc, intrigant. Plus encore lorsque je lui ai dit que je voulais faire chanter chacune des huit actrices. Depuis Demy, et jusqu'à Lars von Trier, elle a toujours montré qu'elle était partante pour des projets où la musique, la danse et la chanson avaient un rôle à jouer. Tout de suite, je lui ai demandé si ça l'embêtait de travailler avec d'autres actrices. Et elle m'a dit : " Non, pas du tout. Au contraire." Des que Catherine a accepté, j'ai proposé à Isabelle - que j'avais contactée sans lui parler d'un personnage précis - de jouer sa soeur. C'était un contre-emploi qui m'amusait. On a tellement vu Isabelle, ces derniers temps, dans la retenue, la réserve, l'absence, même, que je voulais la voir dans l'excès... Je lui ai dit : «Vous serez une espèce de Louis de Funès au féminin!" C'est vrai que j'avais envie de donner à chaque actrice un rôle qui lui permette à la fois de jouer avec son image et de surprendre. Pour les plus jeunes, j'ai fait un casting et, très vite, se sont détachées Virginie [Ledoyen] et Vahina Giocante. Mais Vahina est tombée enceinte quelques semaines avant le début du tournage et on a du la remplacer. J'ai alors pensé à Ludivine [Sagnier], avec qui j'avais travaillé sur Gouttes d'eau sur pierres brûlantes. . .
Lesquelles ont été les plus difficiles à convaincre ?
- Fanny Ardant et Emmanuelle Beart. Elles m'avaient donné un oui de principe et, tout a coup, elles n'avaient plus très envie. Fanny, quand je lui avais proposé le projet, m'avait dit cette phrase amusante : « Les femmes se méfient un peu de moi, parce que j'ai dit un jour: "Je préfère dîner avec un homme idiot qu'avec une femme intelligente." " Mine de rien, elle aime la provocation. Lorsque Catherine a accepté de faire le film, je lui ai dit que
Ca ne pouvait être qu'elle pour le rôle. Et comme elle avait très envie de tourner avec Catherine, elle a accepté. L'hésitation d'Emmanuelle était différente. Elle semblait un peu sceptique, à juste titre, sur le rôle de Louise. Et c'est pour ça que nous l'avons pas mal retravaillé avec Marina. Elle nous a poussés à emmener le personnage ailleurs, et on est partis voir du côté des Bonnes, de Jean Genet. En fait, même s'il y a eu des hésitations, des tergiversations, cela a presque été mon casting le plus facile à faire. Parce que, des que l'une a dit oui, tout est venu comme en tirant sur un fil. Finalement, c'est allé très vite. En septembre, j'avais lu la pièce; en novembre, j'avais fini une première version du scénario et, en avril, on commençait à tourner! Avec ce casting-là le film prenait vraiment toute sa dimension. Il y avait quelque chose de ludique. J'avais l'impression que, d'un seul coup, ça catalysait tout ce que j'aimais au cinéma : le jeu, le plaisir, l'émotion. . . .
Le financement aussi a été facile, j'imagine.
- Oui, bien sûr, alors que celui de Sous le sable avait été un enfer. Personne n'en voulait! Mais là, comme, en plus, Sous le sable était un succès, les choses ont été beaucoup plus faciles. .. Même si le film coûtait quasiment cinq fois plus cher.
C' est-à-dire ?
- Mes producteurs de Fidélité l'ont fait pour 50 millions de francs (7,63 millions d'euros), quand d'autres l'auraient fait pour 100 millions! Par comparaison, Sitcom a coûté moins de 3 millions de francs et Sous le sable, un peu plus de 12.
Pourquoi avoir situé l'action du film dans les années 50 ?
- Parce que c'est ma période préférée; parce que j'aime beaucoup la mode de ces années-là et que je voulais que le film soit beau, que les actrices soient belles - c'était d'ailleurs un argument pour les convaincre! (rires.) De la même manière, avec Jeanne Lapoirie, ma directrice de la photo [elle a fait Gouttes d'eau. . . et Sous le sable] , on a essayé de retrouver la qualité de couleurs du Technicolor de ces films américains des années 50, des mélos de Douglas Sirk, des comédies musicales de Minnelli. On a travaillé les costumes et les décors dans ce sens-là. Et la musique aussi. D'ailleurs, ce que j'ai trouvé très bien de la part des actrices, c'est qu'elles m'aient laissé composer mon équipe exactement comme je le voulais. J'ai pu prendre, par exemple, ma jeune costumière, Pascaline Chavanne. Je ne voulais pas, sous prétexte que c' était un « gros » film, changer d' équipe et oublier ceux avec qui je travaillais lorsque je n'avais pas d'argent. . .
Le film est volontairement très stylisé : couleurs vives, toiles peintes...
- Oui. Le film ne joue pas sur l'identification classique, naturaliste. II est à un autre niveau. L'artifice, lorsqu'il est revendiqué, n'empêche pas d'aller au coeur des émotions. Au contraire, même. . .
La première fois que vous avez réuni toutes les actrices, comment cela s' est-il passé ?
- Avant de les réunir toutes, je les ai fait venir par petits groupes. Deux par deux, trois par trois, ça dépendait des scènes que je voulais travailler avant le tournage. C' était excitant parce que, à de rares exceptions près - Catherine avec Danielle , Virginie avec Isabelle et Emmanuelle avec Isabelle et Catherine, mais sans qu'elles aient de scène intime ensemble-, elles n'avaient jamais travaillé les unes avec les autres. J'ai fait une des premières réunions avec Fanny, Catherine et Isabelle. C'est la que j'ai réalisé la folie du casting. . . Mais, très vite, en fait, on a été dans le travail. Moi-même, je me suis dit : " II faut que j'oublie qui sont ces femmes, qui sont ces actrices; sinon, je ne vais pas m'en sortir.» Et tout s'est passé très normalement. . . D'autant plus qu'on tournait en studio, qu'il y avait donc un grand confort - chacune avait sa loge. C'était important , qu' on mette tous les atouts de notre côté pour nous concentrer sur l'essentiel : le travail. D'ailleurs, j'ai été surpris de voir à quel point elles ont rapidement incarné leur personnage. C'est ça aussi, le talent. . .
Dans votre note d'intention, vous écriviez : « Il s'agit pour ce film de prendre les plus grandes actrices de chaque génération et de les confronter , telles des bêtes féroces dans un cirque. » Comment définiriez-vous les rapports des comédiennes, entre elles, sur le tournage?
- La férocité était dans le film, pas sur le tournage. Les actrices sont généralement intelligentes -- même plus que les acteurs. Et elles ont moins d'égo. II y a d'abord eu un temps d'observation et de respect. Puis je les ai trouvées très à l' écoute les unes des autres. Elles ont, sans doute, toutes fait des efforts, mais je pense aussi qu'elles prenaient du plaisir à regarder les autres, à travailler ensemble. II y a beaucoup de gens, y compris dans le milieu, qui vous disent : «Attention, ça va être un enfer, elles vont se crêper le chignon. . . » Lorsqu'on se retrouve face à face, on se rend compte que ce n'est pas du tout ça. En plus, il y a vraiment, entre elles, un lien très fort, qui est celui du travail.
Ce n' est pas de la langue de bois ?
- Je vous assure que non! le vous certifie que, globalement, cela a été un tournage sans problème majeur. Bien sûr, il y a eu quelques tensions, comme sur tous les films, mais pas plus. En outre, la chance qu'on a eue, c'est qu'elles aient toutes été libres au même moment. Tout s'est donc passé très vite entre la préparation et le tournage, et le tournage lui-même n'a duré que sept semaines et demie. Les tensions n'ont pas eu le temps de s'accumuler. Pour être franc, la période de la promotion est un peu plus compliquée! (Rires.) Sur le tournage, on était tous sur le même bateau et j'en étais le capitaine. Pour la promotion, il y a beaucoup d'intervenants, ça rend les choses plus complexes. Sur le tournage, les égo s'annulaient, parce qu'elles étaient ensemble. Là, c'est différent, elles sont séparées; chacune a repris sa vie, ses activités, ses exigences. . .
Et sur le plateau, qu'est-ce qui était le plus difficile pour vous?
- Ce qui m'a paru tout de suite difficile, c'était de gérer les scènes où, par exemple, Fanny Ardant, Emmanuelle Beart et Virginie Ledoyen faisaient quasiment de la figuration, alors que Deneuve et Huppert étaient au premier plan. Et vice versa. Mais, très vite, toutes ont compris le principe du film, d'autant qu'il est écrit de manière équilibrée : chacune a sa scène de bravoure, chacune a son moment. . . Ce qui m'a semblé compliqué, également, c'est qu'avec huit actrices, il y a forcément huit manières de travailler. Certaines ont besoin de beaucoup d'explications, d'autres non. Certaines ont besoin de connaître les intentions de mise en scène, d'autres non. Catherine a besoin que je lui explique mon découpage, elle a besoin de chercher des déplacements, elle travaille dans le mouvement. Isabelle est une actrice très disciplinée, ce qui ne I'empêche pas de proposer des choses clans le sens de la mise en scène. Emmanuelle, c'est quelqu'un qui se lance différemment à chaque fois et provoque la surprise. . . La première semaine, je me suis dit: « Je ne vais jamais m'en sortir si je n'ai pas huit compartiments dans ma tète. » C'est ce que j'ai fait. Du coup, je n'ai peut-être pas été aussi lie que d'habitude à mes interprètes. Mais je ne pouvais pas me couper en huit et j' ai souvent été obligé de garder une certaine réserve, une neutralité par rapport aux actrices. l'ai eu, avec elles, moins d'intimité que sur d'autres films. . . C'est mon principal regret.
Assistaient-elles à la projection des rushes ?
- Catherine est venue parce que ça I'aide à travailler. Au début, cela m'inquiétait parce que, d'habitude, mes acteurs ne viennent pas voir les rushes. Mais, en fait, c'était très bien, car elle comprenait mieux ce que je cherchais. Ce qui est marrant, c'est qu'après, elle appelait les autres en leur disant : " Je vous ai vue dans telle scène, vous êtes formidable! »
Comment définiriez-vous votre amour pour les actrices?
- (Silence) Disons que c'est un amour qui a plusieurs facettes:...
L 'admiration; la fascination, la cruauté ?
- Oui, tout ça. . . Et plein d'autres encore. . .
Quand vous étiez adolescent, est-ce que ce sont les actrices qui vous ont fait aimer le cinéma ou le cinéma qui vous a fait aimer les actrices ?
C'est très Studio Magazine comme question! (Rires.) Je crois que c'est un peu des deux. Gene Tierney m'a fait aimer le cinéma, Oui. Comme Isabelle Huppert dans La dentellière, comme Catherine Deneuve dans Belle de jour. Comme Romy Schneider. Ces mélanges indissociables actrices-personnages ont été, pour moi, de vrais chocs.
Vous parlez de Romy Schneider. Justement, dans 8 femmes, il y a une scène où Emmanuelle Beart laisse échapper une photo d'elle de son tablier, aux pieds de Catherine Deneuve. Pourquoi ?
- Sur le tournage, j'avais mis la photo de ma mère à 20 ans. Ça me faisait plaisir qu'elle soit là, au milieu de ces actrices, et puis je me suis dit que c'était trop privé. Comme c'est un film sur les actrices, j'ai pensé que ce serait plus intéressant de mettre une photo d'actrice. Je me suis demandé quelle était mon actrice préférée quand j'étais petit. C'était Romy Schneider. J'ai donc décidé de mettre sa photo. En plus, il y avait une vraie filiation avec Emmanuelle grâce aux films de Sautet, et un écho aussi de l'opposition qu'on faisait volontiers, dans les années 70, entre Romy et Catherine, alors qu'elles ont, à mon avis, pas mal de points communs. J' ai donc refilmé la main avec la photo de Romy. Et j'ai prévenu Catherine avant de lui montrer le film terminé. . .
Qu'est-ce qui vous touchait le plus chez Romy Schneider?
- Je suis tombé amoureux de Romy Schneider avec Sissi. Je crois même que c'est la première actrice que j'ai vue. J'ai eu le sentiment de grandir avec elle; d'abord, parce qu'il y avait les différents épisodes de Sissi, mais aussi parce que, juste après, j'ai découvert les autres films qu'elle avait tournés ensuite. Ce qui me touchait, c' était sa beauté, son humanité, son accent aussi - j' aime beaucoup les actrices à accent. Romy Schneider dégage quelque chose de magique. On sent aussi le gouffre chez elle. Et puis, elle se livre complètement, il y a une sorte d'abandon. Quand j'ai fait Sous le sable, j'ai pensé à elle. Je l'ai dit a Charlotte [Rampling], qui a d'ailleurs retrouvé quelque chose de Romy Schneider.
Pour les amoureux de cinéma, il y a aussi une jolie scène avec Catherine Deneuve et Fanny Ardant autour d'une phrase que Truffaut a utilisée dans La sirène du Mississippi et Le dernier métro. . . - «Vous regarder est une joie. Et aussi une souffrance. . . »
A partir du moment où les actrices étaient choisies, j' ai retravaillé le scénario, je vous l' ai dit, en pensant à chacune d'elles. Catherine et Fanny ont eu, toutes les deux, des rôles magnifiques avec Truffaut, et elles l'ont toutes les deux aimé. C'était joli de jouer avec, puisque, dans le film, elles sont un peu rivales, d'une certaine manière. En plus, cette phrase de Truffaut m'est venue naturellement, parce que c'est quelque chose que je ressens profondément, comme beaucoup de gens. Ce n'est qu'après que je me suis dit : « Est -ce que je vais oser la faire dire à Catherine ? » Un jour, avant le début du film, on a fait une lecture avec Catherine et Fanny. Je leur ai donné la nouvelle version du scénario. On lisait les répliques et on est arrivés a celle-ci. Moi, je jouais le rôle de Suzon, celui qu'interprète Virginie. Catherine m'a dit la phrase de Truffaut et elle m'a souri. Moi, j'étais tout rouge et j'ai balbutié : «Excusez-moi, j'ai commis un petit vol. » Et elle m'a répondu : « Non, c'est un bel emprunt. » Fanny n'a rien dit. Elle a juste souri. Apres, on n'en a plus parlé. Sauf au moment du tournage, où Catherine s'est demandé si finalement c' était bien. On a décidé de la tourner et de voir au montage comment elle fonctionnait. Et elle fonctionnait d'autant mieux qu'il y avait, juste derrière, un gros plan de Fanny émue. . .
Vous n'hésitez pas à les mettre toutes les deux dans une situation pour le moins inattendue...
- Mais des actrices comme elles, qui ont une telle carrière, qui ont fait autant de films, c'est ce qu'elles aiment. L'inattendu. Et c'est vrai pour toutes. Pour qu'elles aient du désir, il faut leur donner des choses extraordinaires à faire; en tout cas, pas banales. On ne demande pas tous les jours à Isabelle Huppert et à Catherine Deneuve de se crêper le chignon! Ou à Catherine Deneuve d'assommer Danielle Darrieux ( d'un coup de bouteille! ) ,
Les chansons que vous faites chanter à chacune des actrices, vous les aviez choisies avant de savoir qui les interpréterait ?
- Tout s'est fait un peu en même temps. Le projet a longtemps été un work in progress. Je trouvais intéressant de chercher des sortes d'équivalences entre les stars du cinéma et celles de la chanson française populaire : Françoise Hardy, Sylvie Vartan, Dalida, Marie Laforet, Nicoletta, Sheila. . . J'avais aussi pensé à un tas de chansons que j' aimais. J'ai choisi celles qui étaient le mieux adaptées à I'histoire, aux personnages et aux actrices. Le film est plein de ces petits clins ( d'oeil pour grands pervers! (Rires.) On me parle d' On connaît la chanson, mais ce n'est pas la même chose. ! Le principe n'est pas le même. Et, justement, j'étais run peu frustré, dans le film de Resnais, que les extraits soient trop courts et qu'on n'entende pas les acteurs chanter. Moi, je voulais qu'on écoute les actrices, sans pour autant en faire des chanteuses. Car, même si leur technique n'est pas parfaite, il y a dans leur voix de la fragilité et de I' émotion. .
Dans le livre qui accompagne la sortie du film, vous dites que le film n'est ni plus ni moins qu'un retour à vos jeux de petit garçon...
- C'est vrai. Enfant, j'ai longtemps joué à la poupée. Je m'amusais à les déguiser, à les habiller, à les coiffer, à les mettre en scène. A partir du moment où je voulais faire un film sur le plaisir, quelque chose de ludique, forcément, cela me ramenait vers mon enfance. II y a d'ailleurs dans le film un côté maison de poupée. Y compris dans la conception des ces décors, dans l'utilisation des couleurs, dans les chansons. C'est une maison de poupée dans laquelle on invente des histoires et des personnages incroyables. On y trouve aussi ce côté manipulateur que peuvent avoir les enfants qui jouent. Un côté presque cathartique aussi.
Si vous deviez vous identifier à l'une de ces huit femmes?
- Sans doute au personnage que joue Ludivine Sagnier. Vos lecteurs comprendront pourquoi, quand ils auront vu le film. . .
Qu'est-ce qui vous frappe dans les réactions des gens, après les premières projections ?
- Ce qui me frappe, c'est à quel point le film peut être vu à des niveaux différents, Au premier comme au vingt-cinquième degré. Et ce qui me touche le plus, c'est de voir qu'il rend beaucoup de gens heureux, Je ne fais pas des films pour ça, ce n'est pas ma priorité; mais que des gens me remercient de les avoir rendus heureux, c'est une satisfaction plutôt agréable. Je ne la connaissais pas.
Dans les questions que vous posent les journalistes, qu'est-ce qui vous surprend le plus?
- Tout le monde veut des ragots sur les actrices. Surtout les journaux féminins. Mais bon, c'est normal. C'est tout ce qu'on peut fantasmer autour de ces huit actrices qui fait aussi l'attrait du film.
Et alors, vous leur dites quoi ?
- Qu'ils ne sauront rien! Mais un jour, je raconterai tout. La vérité vraie! Non, je rigole. . . (Rires.)